samedi, juillet 28, 2007

Georges de La Tour


J’ai un peu de honte à t’écrire, mon cher Georges, mais beaucoup de fierté aussi. Que te dire, toi qui, mieux que quiconque, as su montrer l’indicible ? D’autres avant moi se sont essayé à t’écrire, souvent avec bonheur. Tu fus longtemps dans l’ombre de l’Histoire, on ne te connaissait pas, on savait seulement quelques jolis tableaux ; ton nom se murmurait, comme un secret, à la lueur des bougies. Je suis sûr que ça ne te déplaisait pas, au fond, pourvu que ta lumière réchauffe.

J’ai une Madeleine épinglée près de mon lit, qui me veille et qui prie, l’ange apparaît à Saint Joseph et tient une flamme vacillante au dessus du bureau, tu es là chez moi et tu m’aides. Tu m’aides comme tu aidas un groupe de résistants du Vercors, tu m’aimes comme tu aimes tous ceux qui savent se réconforter à ta douce lumière. Tu es la nuit et le silence, tu es le jour et la lumière. Tu m’attends, quand je m’arrête un instant et tu me rappelles la vanité de la vie, le non-sens de l’espoir, la présence de la mort, le devoir de la vie. Tu me rappelles que tout n’est pas toujours visible, qu’il vaut mieux allumer une bougie que de maudire les ténèbres et que quelqu’un, à cet instant, dans la solitude d’un monastère oublié, prie pour le salut de mon âme. Comme avec quelques autres, la vie est bien plus belle grâce à toi. Ce soir, Madeleine et son crâne veilleront encore sur moi.



(OST : John Lee Hooker - Six page letter)

back from Omaha Beach (la salope !!!)



"Il faisait tout noir
L'amerloque m'a suivi
Il était tout noir
Cris à tous les étages
Moi j'ai couru dans l'escalier
Bizarre bizarre personne m'entend
Mes jambes se bloquent comme dans les rêves

Ohé ohé joli petite française
Dis moi welcome avec ton corps qu'y dit
J'ai des bas d'soie et des chewing gum
Qu'y dit
Du chocolate plein la culotte

Je n'y comprends rien
C'est un libérator
J'suis pas collabo
Cris à tous les étages
Même pas couché avec un boche
J'suis pas comme la fille du cinquième
Y'a qu'le train qu'est pas passé d'ssus

V'là qu'il me rattrape
Il va falloir agir
Je prends ma godasse
Un grand coup là où j'pense
Il a très mal et c'est bien fait
Faudrait pas croire non mais c'est vrai
Que toutes les femmes bossent à Pigalle

Ohé ohé grand couillon d'amerloque
Y'a ton chocolate qu'a fondu
Que j'dis
Ta quéquette c'est du vrai chewing gum
Que j'dis
Sers toi des bas d'soie comme pans'ments
Ha ha ha ha"

les ELLES

samedi, juillet 21, 2007

on n'arrete pas les nuages en construisant un bateau...

William BLAKE

Nancy, 2001


(OST : Compagnie des Chiffonières - Musiques du Baron perché)

jeudi, juillet 19, 2007

il faut continuer...

Beckett & elle & moi...





...il faut continuer, il faut dire des mots, tant qu'il y en a, jusqu'à ce qu'ils me trouvent, jusqu'à ce qu'ils me disent, étrange peine, étrange faute, il faut continuer, jusqu'à ce qu'ils nous disent, le vent et les paroles, les mauvais moments qui ne tueront jamais les bons, il faut continuer, notre avenir, ne pas dire les mots qui n'existent pas, ensemble, toujours, je jure, jamais, aimer, mais tous les autres, il faut inventer, il faut continuer, les chevaux de frise, les brindilles, ne plus y croire, ne pas y croire, seul le présent, last words, seule l'absence, last days, je ne peux pas continuer, fidélité, intransigeance, fécalité, damnation, last words, futilité, évidence, culpabilité, il faut continuer, ce sera le silence, celui qui dure, même si ça paraît fou, nous, nous, nous, no future, le présent n'existe déjà plus, il faut continuer, remue-ménage, explosion crânienne nucléaire, dérisoire, lui et moi, lui ou moi, last days, lui et toi, l'angoisse qui monte, l'illumlination, cette page qui devait sans doute m'être destinée et que je récupère, il faut continuer, souvenirs, la mémoire, je ne vis lié pour y croire quand tout est mort, last words, rien ne sert à rien, je ne peux pas continuer, la langue la parole les mots, tout ment avec obstination dans le vent d'octobre, les pleurs et le sexe, les cris et les baisers, il faut continuer, faire le deuil, tout est à nous, je t'attends, coeur à louer, and the rest is silence, last words, points de suspension, fin de ligne, reste à préciser, il faut continuer, ça va être la fin, je les sens qui me lâchent, je ne peux plus continuer, rien ne sert à rien, tout est à nous, il faut continuer, je ne peux plus continuer, je vais continuer...




(OST : Barbara - A chaque fois)

mes z'ami-e-s, mes z'amours, mes z'emmerdes...


Le Requiem de la mort, la Maladie des innocents.

Ne rien dire, encore moins signifier...

Plaies ouvertes frottées au sel de nos silences.

Ad aeternam.


(OST : Michel Jonasz - Je voulais te dire que je t'attends)

mardi, juillet 17, 2007

Paris, ailleurs, debout, réveille-toi...


"Réprimer, enfermer, torturer en invoquant
la démocratie ; où ils font un désert, ils
appellent ça la paix."


De partout, les sirènes hurlent en ces soirs de mai. Paris et sa banlieue, ailleurs, Lyon, Rouen, Toulouse, la Bretagne, ailleurs, Grenoble et leurs banlieues. Ailleurs. Et la Bastille.

Nous ne voulons pas ronger l’os que le Pouvoir nous tend. Mais préserver nos viandes, nos cerveaux et nos chairs. Vivre. Et nique sa mère les législatives.

Les sirènes hurlent, les hélicos survolent, les lacrymos et les vitrines explosent, les pavés volent.

Nous nous souvenons des sans-culottes, de Saint-Just déclarant dans la Constitution de 1793 que l’insurrection est le plus sacré des droits et le plus fondamental des devoirs.



Nous savons que le Nabot n’est qu’un prétexte, que la rage toujours éclate, éternelle et vivante, irrémédiable.

Nous savons nos camarades d’Athènes, d’Oaxaca et du Chiapas, d’ailleurs, des squatts de Barcelone, de partout ailleurs, qui nous regardent, nous soutiennent et nous veillent ; agrippés à cette increvable idée de liberté que Paris envoya au monde, voilà plus de 200 ans, à la Bastille.

Depuis une semaine, les flics nous serrent les uns après les autres, révoltés, passants, banlieusards, inconnus, foule d’anonymes osant encore défier l’innommable. Ils auront beau couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront pas la venue du printemps. Le sang de la révolte coule encore dans nos veines.

Un dimanche que nous voulions être le Grand Soir, la Nuit, et tous les Petits Matins du monde. Des pavés, des barricades et des feux à n’en plus pouvoir, comme un grand chant d’amour du peuple de Paris à la face de l’univers, et toujours des pavés. Les larmes coulent plus de la joie de voir ce monde vermoulu vaciller que des lacrymos surdosés et des grenades au poivre. Jusqu’à 4 heures du matin, l’affrontement dure, irréel et magique. Nous n’aurons pas vu l’aube, nous nous retrouverons le soir. A la Bastille.



Dix fois moins de monde le lundi pour dix fois plus de keufs. La manif sauvage remonte la Roquette qui vole en éclats. Les vitrines d’un restau chinois, d’un épicier, d’un bar rempli de clients éclatent -belles barbouseries de cristal- en plus des habituelles banques et agences d’intérim. Ça sent le malsain, ça part en couilles, trop vite, trop fort. Les keufs n’attendent que ça et embarquent à tout va. Une centaine d’arrestations.

Mardi soir, la fatigue commence à se faire sentir, la Bastille est en état de siège policier, les petits groupes qui arrivent sont interpellés préventivement, le dégoût de la veille a clairsemé les rangs. Les premières peines de prison ferme sont tombées dans l’aprème. Les bleus jubilent et ont sans doute des débuts d’érection sous leurs coquilles. Encore une centaine d’arrestations.

Changement de décor pour le mercredi qui coïncide avec la traditionnelle manif annuelle anti-nazillons. A saint-Michel, 200 personnes pour une contre-manif interdite, 130 interpellations pendant que 500 fachos se pavanent en toute impunité, battes de base-ball, bras tendus, manches de pioche et casques à pointe. Gazage à l’intérieur des bus, insultes, menaces et coups au commissariat, premières bavures…

Le feu couve et n’a pas encore quitté le désert qu’ils nous préparent. Le feu de la banlieue, le feu de Paris et de partout ailleurs, le feu de la Bastille. Nous sommes prêts…




(merci à Thib pour les tofs...
OST : Mon Dragon - les Cafards)

lundi, juillet 16, 2007

blue moods...



J’écoute du blues. Georgianna de Champion Jack Dupree. J’ai un peu froid, il fait évidemment nuit dehors. J’ai délaissé Michel Foucault et son Histoire de la folie à l’âge classique pour prendre mon crayon et écrire. Le blues. C’est impossible à écrire, le blues. Ça prend, ça vit plus que n’importe quelle autre musique. C’est la musique à l’état pur. Le son. Tous les opprimés, les mélancoliques et les déchus, ceux à qui il reste une dernière larme d’espoir sont le blues. Ils ne mettent plus leur dernière larme d’espoir dans cette vie qui les a trop déçus, ils la mettent dans deux accords de guitare qui se répètent à l’infini. Darlin’ I love you, y’a qu’un bluesman qui peut chanter ça. Par n’importe qui d’autre, ça sera bidon, insignifiant, et ça voudra séduire. Le bluesman, lui, il s’en fout de séduire. Il chante, il n’a plus que ça à faire, jusqu’à la mort. Des fois, je me demande si ça pourra survivre le blues. Si, à force de répéter les mêmes accords, les mêmes paroles, les mêmes désillusions, les mêmes espoirs, je me demande s’il ne va pas crever, comme ça, de sa belle mort, dans un dernier riff illuminant Memphis, La Nouvelle Orléans ou Sapognes-Feuchères, là-haut, du côté des Ardennes où les feuilles sont si mortes quand arrive l’automne. Regarde la peinture, elle est bien morte depuis longtemps alors elle ne sait que se prostituer avec la vidéo ou l’abstraction pour se donner en spectacle. Faudra que ça lui arrive aussi, au cinéma, un jour ou l’autre. Seulement, comme le dit Johnny "la musiqueuh vivra-a-a tant que vivra le bluuuuuuuues". Oh yeah, vas-y guitare, pleure encore un peu pour moi, pleure mes espoirs perdus, pleure mes femmes barrées sous des cieux forcément plus limpides, pleure ma jeunesse envolée, pleure les jours qui me restent à pleurer, pleure mes ancêtres arrachés à leur terre, pleure les chaînes qui retiennent mes chevilles, mais pleure en chantant. Chante la justice qui viendra demain, chante l’amour qui viendra demain, chante l’espoir qui viendra demain. La désillusion des soirs qui tombent mais qu’on espère passagers, le bonheur d’avoir le droit d’être malheureux, la beauté qui jaillit du fond des larmes de souffrance, des larmes d’un plant de tabac ou de coton qu’il faut arracher, le dernier truc à faire quand il n’y a plus rien à faire, inutile et pourtant si évident, évident mais tellement inutile. Trois ou quatre whiskies plus tard et tout est reparti, ni mieux ni moins bien qu’avant mais avec la certitude d’avoir passé un moment unique et fatal. Répétitif sans jamais l’être puisque chaque accord se nourrit du précédent et annonce le prochain, puisque chaque parole apporte un peu plus de réconfort et de désenchantement, puisque chaque mouvement de tête, de main ou de pied pour battre le rythme te montre que t’es encore en vie, vaille que vaille, et que t’as encore trois minutes devant toi pour te taper un bœuf ou écouter John Lee. Joyeux sans jamais l’être puisque jamais la vie ne peut être joyeuse, agonisant sans jamais l’être puisqu’il y aura toujours, à un quelconque carrefour par une nuit de pleine lune, un moribond prêt à vendre son âme au Diable pour pouvoir te jouer cette foutue musique qui remue tes entrailles et jamais ne crèvera.





(les mains de Champion Jack et les Strange Fruit en tofs...)

dimanche, juillet 15, 2007

no future




Soir de concert, les casquettes à clous et les crêtes sont de sortie, les pogos bourrinent bien, les Bimbo Killers jouent mal mais tout le monde s'en nevermind les bollocks, les abrutis videurs fascisants n'ont pas laissé rentrer les bières et encore moins le reste, je m'emmerde un peu pendant le set des Diego Pallavas, je fais mumuse avec l'appareil photo sur les lumières du bar, et puis ce méga coup de bol, derrière un pilier, le baiser à la con, l'éternel baiser de Doisneau au sale concert punk d'un printemps parigot.


(OST : Sonic Youth - Teenage riot)

mes z'ami-e-s, mes z'amours, mes z'emmerdes...




"Et quand prenant ma butte en guise d'oreiller,
Une ondine viendra gentiment sommeiller,
Avec rien que moins de costume,
J'en demande pardon par avance à Jésus,
Si l'ombre de ma croix s'y couche un peu dessus,
Pour un petit bonheur posthume."

l'ami BRASSENS




(hommage à Damgatch
OST : Tracy Chapman - Baby can I hold you)

au troquet...

Un homme, une femme, devant moi. Deux cafés. Il fume et tremble nerveusement des jambes. Elle parle beacoup et ne dis pas grand chose. Je le devine mal à l'aise, ses yeux suent le désir. Elle parle de poker et de rugby. Les mots importent peu. Il allume une Camel, rit à ses blagues. Elle lui demande l'heure.


(OST : Red Hot Chili Peppers - Tearjerker)

je ne vis lié



La vue de ma piaule pendant un an et demi, dix mètres carré, le lavabo, le frigo qui marche même pas, une banlieue ni plus ni moins sordide qu'une autre, le foyer de jeunes travailleurs, la light rose clignotant de la pizzeria qui est devenue, au fil du temps, une véritable amie, ce fut là-bas, ça aurait pu être ailleurs, mais cette lumière...


(OST : Allain Leprest - Je viens vous voir)

mes z'ami-e-s, mes z'amours, mes z'emmerdes...




Vagin en devenir

Quand les mecs modernes se sont mis à détrôner les mecs en chemisette, me fourrer l’intérieur de leur tendresse dégoulinante, petit goût d’humanité rejetée, serrant du vagin la petite modernité, je me suis assise sur les nouveaux hommes, salivant de ma langue contre leur dent, leur fesse, leur sexe, leur gland, tendresse des peaux dégueulasses, quand l’amour s’est planté de carrefour, loin derrière mes ébats sensuels, il avait une collection de chemisettes, des t-shirts troués, un gros ventre, des cheveux décimés, une voix d’homme, il était plutôt laid et con, je crois, je trouve.

J’ai pensé aux nouilles chinoises goût poulet qu’il n’avait pas noté, dont je me foutais, tu m’as dit que ce n’était pas important, qu’avec la grippe aviaire, c'était même plutôt bien, que l’on ne le préciserait pas, qu’il fallait que je sois moins froide, plus distante, plus accueillante, moins souriante, plus gentille, moins agréable, ou moins agréable mais plus gentille.

J’ai eu envie de baiser avec un type joli, je ne baise pas, jamais, je n’aime pas la baise, j’avais quand même envie de baiser, en pensant à lui, aux vieux, qui ne viendront jamais. Je les ai trouvé mielleux, minables, chiants et minables. J’ai voulu Hank, fort très fort, un enculé de dégueulasse touchant d’humanité foudroyante, j’ai frissonné de désirs et d’angoisses, ravalé les larmes des yeux, profité des derniers frissons saccadés du cou, des épaules, serré mon entrejambe, fait une grimace, Hank est mort, je n’ai pas de gros cul, ni de gros seins, je n’ai pas de futur et c’est ça qu’est bien.

Il y a Iggy bientôt, seule au milieu des gens, une petite bière, un show, Iggy se cassera, moi aussi, l’échéance du bientôt fini me casse tes couilles baby.

Je frissonne encore, de ces frissons timides, balançant la nuque de petits mouvements saccadés, je suis fatiguée, pas envie de me masturber, me tripoter les lèvres moches d’en bas, il disait toutes les chattes ne se ressemblent pas, il y en a des monstrueuses, parle m’en encore, il reste du whisky, le voiture ne nous tuera pas ce soir, trompe la encore une fois.

Les autres parlent des vagins déformés, et tu sembles si choqué, est-il plus gros, plus élastique, sens-tu encore un truc, est-ce une autoroute, ça fait quoi de baiser un vagin comme ça… Je souris de te voir si con devant si peu de choses. Peut-être que c’est grave, il y en a que j’ai connu qui ont rougi sur la résonance d’une sodomie parlée, comme si l’ordurier et l’infamie s’étaient mis à régner. Nous ne baisions pas, nous parlions donc beaucoup, ne croyant pas au silence.

On baisait souvent dans la voiture plantée au bord d’un lac moisi collé à une zone industrielle fantôme, collés aux pêcheurs nocturnes, aux jeunes racailles de campagne, aux arbres taggés de couteaux amoureux, baiser dans la voiture vite et mal, Slayer en fond, la bière collée aux lèvres, au cœur. C’était nul mais j’aimais bien, la picolle, nos baises trop froides, la vie amoureuse de nos jeunesses.

Les ballades post-coïtales des nuits qui sentent un peu.



(merci à elle pour le texte...
OST : Christophe - les Marionnettes)

6 mai...



Je ne sais pas, vraiment. La peur qui remonte de très loin, et l'envie son corollaire. L'impression que quelque chose d'hénaurme va se jouer dimanche à partir de 20 h 01. Dans MA vie. Dans le rapport à mon propre désir et à ce qui me fait violence. La question de l'idéal et de ce que je mettrai en oeuvre de beauté et de sacrifice pour l'atteindre. Toujours bien beau de fantasmer sur la Commune ou l'Espagne républicaine mais ce qu'il y eut de barbaries... Que nous vivrons peut-être, que je choisirai ou non d'affronter. Mettre en conformité les z'idées de toujours avec les z'actes de demain. La fin de la mascarade, en somme.

Je gerbe sur cette société de merde dont ce nabot n'est que le plus infâme représentant. Si demain, tout vient à cramer, comme je l'espère, comme j'en ai peur, je ne sais pas où je serai. A mettre le feu aux bagnoles et aux banques, à mater les copains-ines prendre des risques ou à me barrer paskeuh j'ai peur... C'est ça que je ne sais pas, ça que trois années d'analyse ne m'ont pas permis de démêler, c'est cette putain d'ordalie que je veux vivre en la repoussant. Sinon, je ne saurai jamais.

La seule certitude, c'est que dans ces moments-là, s'ils arrivent dimanche ou un peu après, j'aurai besoin des gens que j'aime, besoin d'un peu de leur foi et de tant de leurs rires et de leurs certitudes, de ces inconnu-e-s, des potes-ses, de toi aussi forcément, de ta force et de tes doutes, de ce que je vis quand nous sommes ensemble... et du rire, et des danses, et du reste.


(OST : Tom Waits - Take care of all of my children)

dimanche, juillet 08, 2007

quatorze

"On est retournés chacun dans la guerre. Et puis
il s’est passé des choses et encore des choses, qu’
il est pas facile de raconter à présent, à cause que
ceux d’aujourd’hui ne les comprendraient déjà plus."
Louis-Ferdinand CELINE, Voyage au bout de la nuit.





C’est juste une histoire, la leur, un peu la mienne aussi… Quatorze, la boucherie à jamais indicible, la fin d’un monde, la préférée de Brassens, la der des ders, la seule guerre vraiment inhumaine puisque tout le reste est littérature.

Histoire entendue du fond de ma jeunesse, j’ai sans doute mélangé les arrières grands-parents et les bisaïeux, les vieux militaires ou paysans vivant sur cette terre de Champagne depuis des lustres. Toujours est-il que…

Pas le choix, paysan à la ferme familiale ou militaire, si jamais la chance d’avoir un peu d’humanités et de jugeotte, et puisque le génie civil n’existait pas, construire les ponts, les routes et les hôpitaux de campagne pour les colonies : Sénégal, Liban, Algérie, ailleurs… Et Quatorze qui vient, tous les fils de France nach Berlin et la ligne bleue des Vosges qui stoppe bien vite l’avancée, et les trous pour se cacher, les rats, l’hiver, les ponts bombardés à toujours reconstruire, et les routes, et les ponts, dans le gel, la fournaise, les mouches, la puanteur des cadavres, quand tout va bien, juste les ponts…

Vers Dix-Sept, sans doute, ou peut-être l’année d’après, les Boches sont dans Ormes, le bled familial à moins de dix bornes de Reims, la ville de l’Est, trop de guerres, trop de morts, et cette fois, en plus, les ruines de la cathédrale en feu. Juste à côté de l’église, la ferme familiale. Au loin, les tranchées.

Le colonel demande à l’arrière grand-père les coordonnées du village, de l’église, de la ferme. Il hésite, il doit sans doute lui dire : « Vous savez, mon colon, c’est pas que j’ veux pas… ». L’autre sort le flingue d’ordonnance, menace du peloton, sur la place du village, quand celui-ci aura été repris. Deux cents ans que la famille est là.

Il ne s’est pas fait fusiller mais sera devenu cinglé peu après, trois mois de repos à l’arrière avant de repartir au front, le temps de revoir une dernière fois sa femme, le temps de lui faire un enfant, avant qu’il ne choisisse la seule réponse à l’honneur familial qu’il sait avoir bafoué, trois mois plus tôt. Cette fois, il n’attend pas les ordres de cette enflure de colonel, il sort de la tranchée, seul, face à l’ennemi, il sait qu’il va y passer, comme ça, non loin de la terre qu’il a trahie. Le sang effacera la faute, les coquelicots qui pousseront lui rendront à jamais justice.

Une enfant naît six mois plus tard ; je veux croire que c’était vers la fin de novembre, qu’elle fut fêtée comme il se doit, en même temps qu’on fêta -non la victoire- mais la fin de la guerre. L’histoire de la famille raconte qu’une femme s’est laissée mourir de chagrin après la mort de son mari, je veux croire que c’est elle, qu’elle donna au monde une enfant, qu’elle fut lasse de lutter, qu’elle sentit sa mission accomplie et qu’elle se laissa partir, chagrine, digne et sereine.





On doit être par une jolie journée du printemps de Dix-Neuf au vu de leurs tenues, même si je préférerais que Dix-Huit enfin touche à sa fin par une de ces journées d’hiver claire et vive, radieuse de froid et de ciel bleu. Ils sont revenus, de l’enfer, de l’exil, de je ne sais où, ils ont mis les habits du dimanche et revoient le village pour la première fois depuis… Je veux croire que c’est elle sur la photo, qu’elle a déjà offert son enfant au monde, qu’elle se force un peu à sourire en sachant le destin qui l’attend. C’est peut-être son père à ses côtés, en tout cas, c’est la maison bombardée, en ruines, et l’église juste derrière, c’est leur drame et la fierté de revenir.





Ils sont revenus. Le premier mouvement a sans doute été d’aller au cimetière, saluer les morts de la famille, les amis, et ceux qui, du fait de la guerre, n’avaient pas encore reçu de sépulture. Elle n’est pas sur l’image. Sans doute était-ce trop douloureux, sans doute était-elle déjà à ses côtés, du côté des cadavres, de ceux qui ne pourront jamais revenir. Peut-être parcourt-elle tout simplement les décombres de la ferme, pensant à ce qu’elle aurait fait à sa place, pensant qu’il a fait le bon choix puisqu’une enfant est née et que la terre appartiendra toujours d’une certaine manière à la famille. Puisque l’histoire sera racontée. Deux formes d’héritage. Peut-être n’avait-il pas le choix.





Dernière photo. Ils sont les quatre, ils sont revenus, elle ne reviendra jamais. Image éternelle, c’est la Yougoslavie des années Quatre-Vingt-Dix, puisque tout a commencé là-bas en Quatorze, début et fin d’un siècle, c’est les chœurs serbes chantant Tamo Daleko alors qu’au loin, dans la neige, brûlent les derniers restes de l’espoir, c’est la Shoah à venir, les bombes qu’encore aujourd’hui on continue à trouver dans les champs, le vaguemestre qu’on espère, l’enfant qui va naître, les mutins de Craonne et d’ailleurs, c’est leur sang qui coule dans mes veines, mes larmes qui coulent de leur peine, la terre où je veux mourir, pourrir et nourrir les vers, les bombes et mes enfants.

perfectum esse...

''J'avoue que j'ai beaucoup de peine à me déterminer sur l'avenir dans l'embarras où je me trouve d'y penser, et que je suis fortement persuadé que, s'il y a jamais eu des circonstances où la paresse ait pu justement persuader d'attendre les événements, c'est celle où on se trouve maintenant en France, si ce n'est qu'en cela la raison prend la place de la paresse : rien n'est moins digne de gens capables de penser, que de bâtir sur l'incertitude et de ne faire que des châteaux en Espagne fondés sur des possibilités ; et, pour venir du général au particulier, je ne puis disconvenir que je ne sois naturellement très éloigné de raisonner sur des choses qui n'ont aucune consistance. L'obéissance néanmoins forcera mon dégoût et je dirai très simplement ce que je pense sur l'état où le cours de la nature fera enfin tomber la France, quand il plaira à Dieu d'ajouter ce dernier châtiment à tant d'autres que nous éprouvons avec horreur, surtout depuis les trois dernières années, et qui donnent lieu à songer à un triste avenir. ''

Duc de Saint-Simon, vues sur l'avenir de la France, septembre 1713


(OST : Secteur A - les Flammes du mal)

danse bordel !



Au fond d’une ruelle pas si évidente à trouver, nous approchons finalement le musée historique. Dur de mettre la main et le pied dessus, parce que les ruines romaines font tellement partie de la vie quotidienne ici, de la récupération architecturale que le moindre immeuble pourrait être un musée.

Le musée historique est tout ce que l’on attend d’une association d’érudits de la fin du XIXème siècle, dans un roman réaliste. Sauf que nous sommes au début du XXIème. Une femme d’âge mur lève les yeux, sertis de lunettes, vers nous. Elle parle français avec peine, mais semble prendre un grand plaisir à l’exercer. On sent en elle l’une de ces mécaniques rouillées qui grincent et geignent, mais avec d’autant plus de bonheur que la rouille chute et disparaît par ce mouvement. Heureuse aussi de voir des gens.

Le musée n’est pas chauffé. Il est assez grand, bien tenu, avec des tas de documents, plans comparatifs, photographies anciennes, indices cartographiques et humains et même géologiques qui satisfont ma névrose de maîtrise et de compréhension de mon environnement. La muséographie, comme on pérore dans notre pays avec prétention est un peu chaotique par moments, la chronologie respectée avec beaucoup d’entorses, qui ne sont pas compensées par une ordonnance thématique. Déstabilisant, mais heureux. On finit par se laisser transporter, passés les premiers croquis, par ce grand déambulatoire entre les chapelles historiques de la ville, on erre avec bonheur dans ce musée glacial, vide de tout visiteur, silencieux, mais craquant de partout.

En bas, nous retrouvons, en sortant, la femme d’âge mûr. Nous parlons un peu. « Nous aimons parler français, nous les érudits croates ou slaves. C’est important. C’est la faute de Voltaire et Rousseau… ».

Un homme est là. Il s’anime. Cheveux blancs, veste côtelée, marron, au velours élimé, déjà brillant. Dégarni, une belle couronne de cheveux blancs. Il s’anime et déclame plus qu’il ne parle. Un véritable dinosaure plaisant, universitaire à la retraite ou au placard ?

Non, ancien croupier à Las Vegas. Son français est hésitant mais théâtral et grandiloquent, et le voilà parti à nous narrer avec ferveur sa ville, Split, ses anecdotes, ses travers, ses drôleries et l’occupation de ces « connards de fascistes italiens qui n’ont même pas été foutu d’empêcher les soldats de saccager les ruines romaines ! ».

Ses vingt ans, il les a passés à Paris. A l’époque. A l’époque, nous disait-il, on dansait. On dansait partout à Paris, tous les soirs, dans la rue. Apprenant qu’Olivier et Marianne sont Parisiens, il leur jette, avec son accent slave grandiose : « on danse encore dans les rues de Paris ? ».

Comme ça. Olivier ne sait que dire. Marianne se tient coite.

« Parce que, enchaîne-t-il après un silence, hochant négativement la tête, de sa voix qui roule par boyaux et appendices pulmonaires, parce que, c’est ça qui manque aujourd’hui au monde. C’est des gens qui dansent. Regardez-nous, en Yougoslavie : on dansé ensemble si longtemps, ça a été la guerre parce que l’on a cessé de danser. C’est ça qui manque au monde. Dansez, sinon c’est la guerre. La guerre ou la danse, il n’y a pas d’autres choix. Ou on danse ou on crève, parce que la danse, c’est la poésie, et le monde, il lui faut une révolution qui danse et fait de la poésie sinon nous sommes tous morts. Allez danser dans les rues de Paris, ne faites pas attention à ce que disent les ignorants, dansez ! »

Au milieu des ruines romaines. Au milieu de Split. Il nous a dit ça.


(merci à Dadu pour le texte
OST : Idoli - Maljciki)

autoportrait

hommage à Georges de La Tour



(OST : Jean-Sébastien Bach - Passion selon Saint Matthieu, Erbarme dich)

salut à toi...



A Nanterre (pas mes rêves !), des fois c’est un peu le bordel. Parce que c’est une ville où tu ne peux pas être indifférent. Tu peux être pour ou contre, chaud ou froid, mais surtout pas tiédasse comme à côté, à la Capitâââle. Ca résiste, ça gueule, ça vit, c’est le sang du Front Populaire et des morts jamais comptés du 17 octobre 1961, de ceux de Charonne, des Enragé-e-s et des gosses de tiékar qui suinte de tous les pores de la ville. L’algérienne banlieue rouge qui nargue ces putes de Neuilly et de Saint Germain en Laye qui sont juste à côté. La rage et la révolte qu’ont pas encore baissé le poing. Alors, t’as le droit d’être un bâtard de sarkozyste pour peu que tu l’assumes. Et là, on va s’engueuler mais ptêt qu’on boira quand même un canon ensemble.

Et en ce moment, à Nanterre (toujours pas mes rêves !), c’est sacrément le bordel. Bikoz’ le trublion du coin, l’inénarrable Roger Des Prés va planter la Khaïma dans tous les quartiers cet été. Et faut bien le dire, le Roger, c’est un gars bizarre. Un génie, un fou, l’archétype de celui que tu n’oseras jamais être en poussant au plus loin le secret de tes en-vies. Le gars, il a installé une ferme un peu au bout de la fac, loin là-bas, où y a pêle-mêle des chèvres, des concerts de clavecin, du miel, du ciné d’auteur en plein air, des carcasses de bagnoles, un putain de potager, des vieux maoïstes, des fleurs, des mises en scène de Genet (pas les fleurs, hein, l’auteur) et des chouilles certains soir à te faire pleurer tellement c’est hors du monde. Un « artiste », quoi, un mec tel que les artistes devraient être.

Et donc, le Roger, pendant tout l’été, il va planter sa méga tente orientale, la Khaïma, en pied de tours, au cœur des Zones Urbaines Sensibles, des quartiers populaires, de là où gravite une foultitude de jeunes à casquette et à capuche par dessus la casquette. Il ramène les chèvres, of course, un spectacle sur Khaled Kelkal, la tambouille pour chaque soir et il attend aussi ce que les habitants et les passants vont ramener, comme ça, dans l’absurdité du lieu et l’évidence du partage. Entre autres. Bikoz’ faudra venir vivre pour voir. Une semaine non-stop dans chaque quartier à pioncer sur place avant d’emmener la caravane, la tente et les chèvres ailleurs.

Forcément, il a besoin de thunes pour son affaire. Et la municipalité, elle flippe un peu. Non seulement à cause du côté doux-dingue du Roger, un peu plus pour le spectacle sur Khaled Kelkal au milieu d’une horde d’habitants islamisés incapables de comprendre que le théâtre peut transcender quoi que ce soit et que c’est un peu le but premier qu’ils faisaient les Grecs demande à ceux qu’ont vu Electre pour la première fois tiens si ça les faisait pas flipper et réagir dans leur quotidien existentiel, et surtout parce qu’elle a déjà une sacrée expérience du gugusse en réunion. Qu’il gueule, qu’il monte sur la table, qu’il insulte, qu’il lui arrive d’être à poil sous sa djellabah et qu’il laisse remonter sa djellabah, qu’elles disent, les rumeurs. Alors, filer des thunes pour un mois complet d’animation estivale, pffffiou… Avec Khaled Kelkal en plus.

On se voit à quelques réunions municipales de préparation. Il est fort, le Roger, on sent qu’il sait où il veut aller et la part d’imprévu qu’il faut pour avoir à y aller. Il s’emballe, vitupère, s’ennuie, vit, risque, loin des comptes d’apothicaire du service culturel qui marmonne du bout des lèvres : « Nous avons décidé d’accorder tout notre soutien à ce projet ». D’emblée, il les calme « Ouais, mais j’ai pas eu les sous ». Ca transpire sec à Nanterre, chaude ambiance, les rumeurs d’annulation se succèdent, et puis finalement, non.

Je ne sais plus trop ce que je peux raconter pendant ces réus, sinon qu’à celle de mercredi dernier, avant d’examiner le cas du Roger, un obscur cabinet de consulting était venu faire une enquête sur les Contrats Urbain de Cohésion Sociale : le truc où la mairie file des thunes aux assoces si elles répondent aux critères définis par l’Etat. Parmi lesquels la « lutte contre la délinquance ». Et là, comme à chaque fois, j’ai bondi. Passkeuh si y a bien un truc qui m’énerve, c’est la lutte contre la délinquance. J’ai dû sortir mon laïus habituel, en étant bien calme de fureur contenue, que les mots sont importants, surtout en ces temps troubles, que si on entendait lutte contre toute forme de délinquance, y compris financière dans les boîtes genre Société Générale dont le siège social est à Nanterre, lutte contre la délinquance policière qui fracasse tout le monde sans raison comme la semaine dernière sur le quartier, alors qu’ici « lutte contre la délinquance » était l’exact euphémisme pour « permis d’incarcérer les jeunes à casquette qui zonent devant les halls d’immeuble », ce à quoi tout le monde pensait sans avoir les couilles ni les ovaires de l’assumer… J’ai évidemment pas eu le temps de finir ma phrase.

Coup de fil le lendemain alors que je suis dans le métro pour aller, une énième fois, tenter de refaire le monde avec ces vilains z’anarcho-autonomes que le joli Figaro a remis au goût du jour. Numéro que je ne connais pas, une voix enjouée et tonitruante me balance un « Salut à toi, Ubifaciunt, éducateur spécialisé à Nanterre ». Je le gratifie, reconnaissant la voix, d’un « Salut à toi, Roger Des Prés, de la Ferme du Bonheur ». Je tique un peu en entendant ma voix prononcer mes mots, c’est pas grave. On commence par tchatcher quelques instants des contraintes techniques de la Khaïma, puis il me dit en substance « Tu sais, à chaque fois qu’on s’est vu, j’ai trouvé ça intelligent et émouvant ce que tu disais, ça fait du bien… » Waouh, je rougis sans doute un peu, v’là le compliment quoi… Je laisse passer le premier métro, puis le second, la converse commence à durer, je remonte à l’air libre. Tout y passe, Beckett, les chèvres, les vieux cocos, les gosses qui sont les mêmes à Nanterre et Göttingen, on se fâche pour la forme sur une interview que Genet aurait, ou non, accordée à Têtu, on ne lâche rien histoire de dire, on va se revoir bientôt, oui, c’est cool, prochaine réu pour préparer la Khaïma, on y sera.

Un peu touché, quand même, que le gars Roger himself, tout ça, je lui avais pas filé mon numéro, il a dû demander à je ne sais qui, et puis cette joie de la discussion, et puis, quand même, hein quand même, un truc qui me chiffonne. Pas grave. On verra demain.

Je me répète le début de notre converse. Et puis l’illumination… Non, pas possible quand même que… Je me jette sur internet, googlise et finit par trouver. Putain, c’est lui… Les Bérus… « Salut à toi, Roger Des Prés, Salut à toi l’endimanché » à la fin dans le dernier couplet avec les sirènes de malade qui se ramènent, et Rantanplan, tout à la fin. Je lis, « LES ENDIMANCHES – Roger Des Prés et Jean Des Champs. Dans le milieu néo-punk branché de l'époque, ils détonnent aux côtés des futures Négresses vertes et autres Ludwig von 88, avec leur look de paysans vosgiens et leur apparence naïve de fils spirituels de Bourvil. On les retrouve à taper sur des tubes métalliques devant le Musée d'Art Moderne, puis avec leur accordéon au cinéma Le Zèbre de Belleville, accompagnés d'une titi parisienne Belle du Berry, future voix de Paris Combo. Ils amènent un air rétro mais authentique, un univers assez visuel proche de l'ambiance "Champêtre de joie" mais aussi d'Arletty et de Chaplin. Ils sortent un 45 tours, puis un album étonnant intitulé Le jardin potager chez Bondage Records. Première partie des Bérurier Noir en 1987 au Printemps de Bourges ».

L’homme fêlé auquel les Bérus et toute ma jeunesse rendent hommage sur Salut à toi, qu’a cherché mon numéro pour m’appeler et me dire que j’étais pas con. Putain de claque.

Salut à toi, ô mon frère
Salut à toi…


(OST : Bérurier Noir - Salut à toi)

tract



« Toutes les nuits sont calmes depuis le couvre-feu.
Les laissés-pour-compte du sommeil sans doute se disent que pour qu’autant de gens arrivent à préférer le saccage à l’évidence d’une normalité trop humiliante, il faut que la peine ait touché un seuil nouveau. Que même les policiers qui veillent ne peuvent pas nous en protéger. Que nous sommes en danger de mourir de nos propres peurs. »
Claire FONTAINE, Mouvement, avril-juin 2006

Décembre 2005. Le souvenir des trois semaines de révoltes est encore aussi vif que les feux ayant illuminé les banlieues. Il n’y a pas eu de porte-parole, pas de revendications, seulement des ombres dans la nuit, des ombres traquées par les projecteurs des hélicos, des carcasses de voitures, quelques plans sur des capuches et des casquettes, au 20 heures, pour faire peur. La gauche a condamné, au mieux elle n’a rien dit. Un mois plus tard, on se sent seul.

Mai 2006. Une victoire pour quelques uns. Ceux qui se sont autoproclamés détenteurs du « mouvement anti-CPE » et qui passent au journal après les manifs de 14 à 18 heures. En lutte contre une loi et non contre cette société. Quand les vrais moments de vie furent après 18 heures, au bonheur des rencontres, des occupations, des manifs sauvages. La gauche a pavoisé. Un mois plus tard, le goût d’inachevé.

Juin 2007. Le triomphe d’un seul et des médias aux ordres. La gauche entre au gouvernement. La télé est le porte-parole. Toute forme de contestation est passée sous silence. La répression sauvage est la norme et tente de diminuer l’espace de nos en-vies. Des individus se rencontrent, imaginent, construisent. Des groupes se forment. A Paris, à Rostock, à Saint-Denis, ailleurs, un mois plus tard, on continue…

A suivre…

contact : asuivre1@no-log.org


(OST : Blonde Redhead - I still get rocks off)

une histoire de taf

Revenu sur le tiékar depuis deux jours ; ambiance super tendue, réglements de comptes à coups de gun avec une cité voisine, flics au taquet, résultat des putains d'élections, la cocotte-minute est en sang et et la virole va sans doute pas tarder à se barrer en couilles.

Ce matin, à 11 heures, comme souvent les mercredis, on fait la sortie du collège avec un collègue. Un môme, 16 ans, parmi les pires trublions à son âge vient me voir et me claque : "Hé, dis Ubi (en fait il m'appelle pas Ubi mais c'est pour préserver mon anonymat -relatif- sur ce forum), t'as pas une canne à pêche ?". Bon, les conneries des mômes, chuis un peu habitué, mais là faut dire que le brave M. m'en bouche un coin et je scotche dix bonnes secondes. "Ben, pour quoi faire ?" Il me regarde comme si je venais de Jupiter et me claque d'un ton qui ne saurait être que celui de l'évidence : "Trop envie d'aller pêcher cette aprème..."
Là, faut vraiment dire que j'hallucine grave. M. le loustic que ça fait deux ans qu'on essaie de trouver le moyen de l'accrocher pour des sorties, des accompagnements, des tout-ce-que-tu-veux parce qu'on sent qu'il suinte la provoc, le mal de vivre, l'herpès, v'là t'y pas qu'il me tend une perche de malade (c'est le cas de le dire) et me balance ça comme s'il me demandait du feu pour rouler son pét'.

Réflexe d'éduc à la con à qui on la fait pas, différer la demande, voir si elle tient toujours, si c'est pas une te-fein juste pour te la jouer à l'envers. Je lui file rencard à l'autre bout de la ville à 15 heures devant le Décathlon -tout en sachant qu'il devrait être à son entraînement de foot à cette heure-là-, voir si son désir est plus fort que la contrainte que, bassement, je lui impose.

Comme il nous a déjà planté pas mal de fois pour toutes sortes de rencards, je doute qu'il soit là. J'arrive devant le Décathlon à l'heure dite, M. sort flanqué de deux potes (dont M.A. putain, une autre histoire de fous celui-là...) et me raconte par le menu les cannes à pêche, leurs propriétés respectives, les prix et la converse qu'ils ont eu avec le vendeur. Je me retiens de leur tomber dans les bras et de leur faire des bisous. On rentre dans le magasin et ressortons une demi-heure plus tard, une jolie canne prête à l'emploi sous le bras pour laquelle j'ai avancé 20 dollars.

Direction, les quais de Seine, à travers la Zone Industrielle. Moment un peu surréaliste, M. fier avec sa canne à pêche de 3 mètres 50 à l'épaule, me balance ses emmerdes, son casier aussi peu vierge qu'une actrice de porno, sa convocation au tribunal pour début juillet, inculpation pour "tentative de vol en réunion", avocat comm' d'off' qui s'en contrebat les couilles, le flip de la prison, son pote M.A. à peu près dans la même situation pour une autre affaire, voilà quoi, un pan de vie qui se lâche d'un coup, tout ça sous le regard médusé des passants voyant trois lascars avec une canne à pêche discutant avec un mec à crête et à cravate (pourquoi l'avais-je sortie aujourd'hui ??? mystère...)

On embrigade encore quelques potes sur le chemin et on arrive sur les quais. Et là, faut bien le dire, une canne à pêche Décathlon à monter, c'est pire qu'un meuble avec une notice Ikéa. Bikoz' entre le moulinet, le fil et l'hameçon, deux heures plus tard on y était encore. Pas grave, la patience est la première vertu du pécheur.

On n'a jamais jeté la canne à l'eau, je suis reparti en les laissant avec leur matos vers 18 heures, trois heures à parler de taule, de juge, de flics, d'hameçons, d'envies, de fils qui s'entremêlent, à se fendre la gueule, à me dire que je fais quand même, pour ces putains de moments de magie, l'envie d'un gosse et lui dire OK, je te suis les yeux fermés, un des plus chouettes boulots au monde...

(Et on a repris rencard en attendant le jugement, et je vais préparer un séjour d'une semaine à la mer, pourquoi pas sur un bateau de pêcheurs...)

Et si le rock c'est avant tout de la logistique, la pêche c'est avant tout de la technique :









(OST : Baaziz - Hexagone)

tract


"On n’arrête pas les nuages en construisant un bateau."
William BLAKE

Le CPE n’est que la face émergée de l’arbre qui cache la forêt d’icebergs à laquelle nous nous heurtons tous les jours. Nous, c’est un collectif de travailleurs sociaux des Hauts-de-Seine bossant dans ce que nos chères élites appellent les "quartiers difficiles". Nous, c’est les racailles et les dealers, les caïds et les lascars, les gosses battu-e-s et ceux et celles qui vont bien ; nous c’est toi et moi quand on préfère fermer les yeux ou quand le poing renonce à se dresser.

Bien sûr, il y a le CPE, mais nous n’avons que faire d’aider des jeunes à s’insérer dans une société en ruines, dans ce lupanar du fric dont la réussite professionnelle est le seul maquereau. Nous ne choisirons jamais entre la mort et la honte, le lard et le cochon, le CDI au Quick de Nanterre et le CPE au Mc Do de Colombes. Nous sommes debout.

Bien sûr, il y a l’immigration choisie, quand la seule liberté de circulation effective dans notre beau pays est celle des capitaux et non des êtres humains. Nous, racailles universelles et cocu-e-s éternel-le-s de l’Histoire, avons toujours accueilli et accueilleront toujours nos frères et sœurs de misère, camarades du néant. Nous sommes au monde.

Bien sûr, il y a le rapport d’orientation n° 05.435 du Conseil Général des Hauts-de-Seine, et de son président, par ailleurs ministre de l’intérieur et président du parti au pouvoir, qui veut rendre chaque travailleur social aussi délateur qu’un collabo en 1940 et aussi consciencieux qu’un flic au soir du 17 octobre 1961, englué dans la concupiscence et la servitude volontaire, et surtout, surtout, n’oublie pas de rendre à la fin du mois les statistiques du nombre de jeunes que tu auras sauvés de l’enfer de la drogue et du chômage. La Résistance n’est encore qu’un désordre d’initiatives individuelles et de courage ; nous préférerons toujours emmener un gosse au théâtre plutôt qu’à la (dé)Mission Locale ou à l’ANPE, et nique sa mère si ça rentre pas dans leurs stats à la con. Nous sommes ailleurs.

Nous, c’est tous les combats, révolté-e-s du quotidien, émeutier-e-s des justes causes, poils à gratter de l’éphémère. Travailleurs sociaux, racailles, sans-papiers, chômeurs-euses, lycéen-ne-s, paysan-ne-s, drogué-e-s, insoumis-es, révolté-e-s, poètes-sses maudit-e-s, salarié-e-s, rien de tout ça, tout ça à la fois, sœurs et frères de misère, de lutte, d’intelligence et d’émotion, nous n’avons pas d’avenir, nous n’en avons jamais eu, il n’y a qu’aujourd’hui et cette pluie qui tombe, il y a ce bateau auquel nous avons renoncé ; hier il pleuvait, aujourd’hui il pleut, vienne la tempête. Nous sommes le vent.


(merci à Thib pour la tof
OST : Arthur H - Avanti)

joie du matin...

Le lendemain.

Je me lève, je ne te bouscule pas plus que la veille où, malgré la chouette soirée et le merveilleux début de nuit, je n'avais pas eu la chance de te voir au matin. Partie, envolée, à je ne sais quelles heures pâles de l'aube, pas de trace de ta présence chémwa sinon ces deux verres sur le bureau à côté de l'ordi, signe que tout ne fut pas aussi irréel que...

La veille donc, et cette journée de vagues souvenirs un peu alcoolisés, de joie et de fureurs, la nuit qui tombe sur Montreuil, le rocking-chair où tu me rejoins et la suite, et la suite frénétique. Evidente.

La nuit. Tu dors déjà, le temps de finir mon verre, ma clope, de te mater tendrement, légère caresse sur la nuque, le dernier bout rougeâtre de la roulée s'éteint, ma jambe se glisse sur la tienne, léger soupir : "merveilleusement bien" parviens-tu à prononcer.

Plus personne au matin, pas un mot sur la table, tu ne t'es pas fait de café ; j'enrage un peu. Partie comme une voleuse.

Une journée et une nuit, donc.

Et ce matin.

Métro pour aller au taf, comme d'hab, je mate les nouveaux autocollants et les graffitis de la nuit, la LCR côtoie le "2007 sans Sarko" et ce diable de Ruine qui taggue décidément bien.

Et celui-là, immense sur le 4x3 de la pub Samsung que je n'avais pas vu la veille. Incrédule. Le métro arrive, je scotche comme un con. Sourires niais. Merci. Vraiment merci. Et tout le reste est littérature comme disait l'autre. Je sors l'appareil photo. Je ris.




(OST : Arpioni - Ma mi)

une histoire de taf




Des fois, tu te dis que tu fais vraiment un boulot de merde. Quand tu dois annoncer à un sans-papiers, père de deux gosses que le no future est à compter de ce jour son présent, qu’à partir de maintenant, c’est le risque perpétuel de la rafle, du centre de rétention, du charter, et que c’est pas seulement pour lui, mais pour sa femme et les deux mômes. D’autant plus qu’à compter de ce début juillet, y a plus d’hébergement et plus de boulot non plus. Quand tu lui dis qu’il vaut mieux qu’il se barre, qu’il ne comprend pas et que tu répètes machinalement ces mots : « police, enfants, expulsion » et que ça te déchire la gorge et les entrailles. Tu essaies de rester pro et t’as envie de gerber, silences pesants. Le café à un immonde goût de dégoût du monde. « La patrie d’un peuple libre est ouverte à tous les hommes de la Terre » qu’il écrivait le Saint-Just. Il pleure. A croire que jamais le monde n’a été aussi libre. Il paie les cafés. Tu restes, tu prends le crayon, tu essaies d’écrire que tu fais un putain de boulot de merde, avoir la dernière image de cet homme qui s’en va en parlant du mektoub.

Plus tard, dans la soirée. Gosses qui balancent des feux d’artifice dans le quartier. Une dizaine étoilent le ciel de Nanterre sur une demi-heure. Ça gueule aux fenêtres : « Faudrait tous vous fusiller, bande de cons !!! » Dix minutes plus tard, trois cars de CRS (sans compter la BAC et les keufs normaux) débarquent pour un contrôle général d’identité. T’as les glandes en pensant à ton boulot, à la France et à la liberté.

T’es sur le banc à attendre le RER pour rentrer chez toi, tu repenses à tout ça, il est 22 heures 30 et tu sais que ça va pourrir ta nuit, tu sens une ombre s’approcher et piquer la feuille sur laquelle tu écris. Putain, S. ! Six mois au moins que tu l’as pas vu, un des pires l’an dernier, le vrai chef de bande ultraprovoc mais bourré d’émotion. Trop de sensibilité ce môme, il peut te faire sortir de tes gonds en un instant, parce qu’il aura capté en un quart de seconde où était ta faille, la vraie, celle qui saigne encore et qui purulera sans doute encore longtemps. Pas par méchanceté, mais pour protéger sa propre faille, celle qu’est encore plus grosse que la tienne et qui saigne dix fois pire. Le seul môme à qui t’as pour l’instant offert le Requiem des innocents de Calaferte, si c’est pas un signe…

Et donc le S. Trop plein, tu lui balances tout, les larmes du papa, les keufs surarmés pour trois pétards, ce monde insensé. Il te raconte qu’il a trouvé un taf de serveur dans un bar à Roissy, clientèle d’affaires, 1700 dollars avec les pourboires -psatik !-, une part de la paie pour la maman, se taper la cravate et le futal à pinces pour aller bosser à 5 heures et demi du mat’. On se raconte nos vies, et des silences aussi. S’en foutre que son histoire de taf soit du lard ou du halouf, juste un joli quart d’heure à deux dans un wagon surchauffé, la nuit tombée. Il descend à Châtelet, dernier sourire, la mélancolie revient doucement, tu repenses aux flics, et à cette vie qui serait bien plus simple autrement…


(OST : Tacite & T-Roro - Seul)

la plus belle manif du monde ?

(kassdédi à Flora)




VERSION ME MYSELF I :

J’en ai encore les yeux qui s’embrument, les poils qui se hérissent & les chaussettes qui puent. Si j’avais cru qu’un jour, en manif sauvage de malade, on puisse choisir de monter sur la Butte à 2 heures du mat’ pour le plus beau des hommages. Tout avait commencé comme dans un rêve, sortie du boulot à 19 heures, rencard chez un pote pour passer enfin une soirée tranquille à se miner tranquillement la gueule en écoutant de la ‘zique & blam, ambiance chelou dans le métro, trop de stations fermées & des regards appuyés. Coups de fil en pagaille, à peine le temps de s’envoyer notre boutanche de muscadet rituelle apéritive, départ à quatre de Montreuil en vélo direction Bastille.

Et là... foule compacte (2000 au plus fort de la manif selon France-Un-Faux, ah ah ah !!!), ahurissante, joyeuse, vivante. On y va, on sait pas où, on ne le saura jamais, mais on y va. Opéra, Assemblée Nationale (occup’ foirée de peu), Sénat (occup’ foirée de peu), Saint Germain, je peste contre le passage rituel à la Sorbonne où heureusement on ne reste pas longtemps, Matignon fin bloqué comme l’Elysée, dans la rue descendez, Paris révoltée, c’est mieux qu’à la télé... Châtelet, où qu’on va, au Nord au Nord, idée qui commence à germer, yes, le Sébasto, tension de quelques instants bikoz y en a qui veulent repiquer sur Répu (dont des RG déguisés en totos...) & non, passage par Barbès, re-hésitation Boulevard de Clichy, filer tout droit ou ... ?

Quelques déterminé-e-s dont je suis n’en peuvent plus, s’époumonent & c’est parti, on monte par la rue Lepic, ça commence à parler ouvertement du symbole Communard, la butte est à nous, on arrive au Sacré-Cœur, ivresse collective d’environ 3000 personnes, ça tague comme jamais sur l’immondice expiatoire : 1871, sous ces pierres, nos morts – la Commune bande encore, crénom de Dieu ! Un feu immense & une fabuleuse Internationale donnent au 18 mars une résurrection improvisée. Emu aux larmes, je ne cherche même pas à cacher mes pleurs. Les lumières de la ville en contrebas, le feu, les CRS qui ont dû descendre de leurs cars & monter à pied hé hé, la nuit & les poings tendus, l’histoire & le présent, nous restons une bonne demi-heure, je pense à des milliards de trucs, cette éternelle France rebelle qui rejoint en pleine nuit presque sans le savoir un de ses symboles les plus intimes, cette vie depuis un mois & demi, toi qui n’es pas là & avec qui j’aimerais tant partager quelques secondes de ce moment magique, ces sourires sur toutes les bouches, le concert de dimanche, cette Internationale qui est le genre humain, ces bâtons de dynamite que j’aimerais tant avoir, ces mots que j’écris pour lutter contre l’oubli.

La suite n’est qu’une longue descente.

Aujourd’hui, 19 heures 10, le meilleur pinard au monde, un Savagnin du Jura, que je viens de déboucher pour fêter ça, le reste, la vie, l’amour, la lutte & les mots. Nous n’avons pas encore marché sur Versailles, sans doute que ça va pas tarder, nous avons juste eu besoin de rendre le plus bel hommage à nos mort-e-s. Un truc pas prévu, sans orga, sans chef, sans rien d’autres que nos cœurs aussi rouges que le temps des cerises & noirs que le deuil que nous portons depuis 1871.





VERSION DU MONDE :

A Paris, une joyeuse "randonnée politique" nocturne (dimanche 2 avril 2006)

Pendant sept heures, ils se sont vus révolutionnaires, arpentant le pavé parisien dans une manifestation spontanée, joyeuse, parfois extravagante, contre l’annonce de la promulgation de la loi sur le CPE par Jacques Chirac. Partis à quelques centaines de la place de la Bastille, ils se sont retrouvés 4000 à 5000 à jouer au chat & à la souris avec les forces de l’ordre, à chanter, à danser, à hurler des slogans anti-CPE dans la nuit du vendredi 31 mars au samedi 1er avril.

Sitôt terminée l’intervention du chef de l’Etat, des cris avaient retenti : « Tous à l’Elysée ! » Et le cortège s’est ébranlé, vers 20 h 30, avec l’espoir de rejoindre le palais du président. « La rue est à nous », rigolait une étudiante. Mais l’élan révolutionnaire ne pouvait pas grand-chose contre les gardes mobiles, bloquant l’accès au quartier présidentiel, & les manifestants ont navigué d’un côté à l’autre de la Seine, effectuant une « randonnée politique » de plus de 25 km.

Dans une ambiance bon enfant, avec de la musique, des bouteilles de bière & de vin en nombre, ils se sont approchés de lieux symboliques : l’Assemblée Nationale, sur laquelle des dizaines d’entre eux ont uriné pour marquer leur rejet du système démocratique ; le Sénat, où une porte a été violemment secouée ; la Sorbonne, toujours protégée par des barrières anti-émeutes, où des affrontements sporadiques ont eu lieu, avec jets de pierre limités d’un côté, & gaz lacrymogènes mesurés de l’autre ; le Palais de Justice, devant lequel le traditionnel « Libérez nos camarades » a été entonné.

Après le siège de ces institutions, il fallait un objectif plus symbolique encore. Et la troupe, mélange de militants de la gauche radicale (anarchistes, etc.), d’étudiants, de syndicalistes (SUD, FSU, etc.), s’est dirigée vers la butte Montmartre, berceau de la « Commune de Paris » , cette révolte populaire noyée dans le sang en 1871. De bon cœur, en installant une barricade dans les escaliers, en criant « Paris, debout ! Réveille-toi ! », les manifestants ont escaladé la colline. Autour d’un feu de palettes allumé devant le Sacré-Cœur, ils ont chanté l’Internationale. Des anarchistes ont inscrit sur la façade de la basilique un résolu « Vive la Commune ».

La politique n’interdisait pas l’humour. Au premier étage d’un « sexy-show », rue de Clichy, les filles regardaient ce qui produisait autant de bruit. Solidaire avec les « précaires du sexe », la foule a entonné « les filles avec nous, y en a marre de se faire enculer. » Devant l’Opéra, elle a chanté en direction des invités costumés : « les pingouins, avec nous ! » Plus tard, alors que des casseurs s’en prenaient à un Mac-Donald’s, des manifestants ont hurlé : « et un ,et deux, et trois mois fermes ! »

Les casseurs, justement, ont été relativement bien contenus. Mais vers 3 heures, des incidents plus sérieux ont éclaté dans les 9ème et 10ème arrondissements. La permanence du député UMP Pierre Lellouche a été saccagée. Les forces de l’ordre ont dispersé peu avant 4 heures les derniers irréductibles. Sans ménagement, les jeunes interpellés, au moins une quinzaine, ont été violemment matraqués, y compris lorsqu’ils se trouvaient à terre.)





VERSION BRIGADE ACTISTE DES CLOWNS :

Vendredi soir place de la Bastille, l'abromulgation du CPE par le roi des clowns relance la jeunesse française sur la voie du dynamisme.

Suivant les directives du ministère de l'intérieur, les forces de la BAC ont encadré une milice situoyenne d'environ 5000 glorieux samaritains, qui a silloné la capitale du royaume toute la nuit pour vérifier que les honnètes gens avaient bien pris leurs tranquillisants, que les foyers étaient bercés par l'évangile télévisé et que les jeunes dormaient sagement.

Malheureusement des groupes de casseurs équipés de matraques, de casques et d'uniformes noirs ont organisé des blocages dans de nombreux quartiers sensibles. Ces groupes qui se déplacaient dans la ville de manière totalement incontrolée en terrorisant la population avec des sirènes d'un autre temps, ont cherché la confrontation à plusieurs reprises. La BAC a exhorté ces jeunes sans revendication précise à rentrer faire leurs devoirs pour ne pas finir dans la rue. Il semblerait que leurs leaders, déguisés en polytechniciens du XIXème siecle, avaient organisé une "Rave" à l'Opéra Garnier. Après avoir esquissé quelques pas de valse avec eux, un mot d'ordre s'est imposé: "Ils ont transformé la Bastille en Opéra, transformons l'Opéra en Bastille!". S'étant assurée que cette dangereuse élite était confinée dans sa prison dorée, l'épopée historique a poursuivi son cours : Concorde (la colone Vendôme sera pour une prochaine randonnée), Assemblée Nationale où par deux fois la BAC a tenu à soutenir le déblocage du gouvernement, Sorbonne où les iconoclastes enfumeurs qui tiennent toujours le quartier ont été tirés de leur torpeur, Sacré Coeur ou un vibrant hommage pyrotechnique a été rendu aux communards...

Devant le succès de cette nuit blanche, l'opération devrait être reconduite tous les vendredis jusqu'aux vacances du gouvernement et de son chef à Baden-Baden.
Avis aux fêtards, La BAC will be back !


(merci à Thib' et Jérôme pour les tofs
OST : Bolchevita - Cinq heures)

mes z'ami-e-s, mes z'amours, mes z'emmerdes...



Le Cabaret du Néant, 18 octobre 2006, le Klub


(OST : Brigitte Fontaine - les Dieux sont dingues)

dites je t'aime à l'homme / femme de votre vie

“Nous nous avons nos matins blêmes
Et l’aube grise de Verlaine
Eux c’est la mélancolie même
A Göttingen à Göttingen

Quand ils ne savent rien nous dire
Ils restent là à nous sourire
Et nous comprenons quand même
Les enfants blonds de Göttingen...

...Et tant pis pour ceux qui s’étonnent
Et que les autres me pardonnent
Mais les enfants ce sont les mêmes
A Paris ou à Göttingen”





Septembre 2005. Deux jours que je suis à la capitale : hommage obligatoire au pont Mirabeau, au camarade Apollinaire, aux ricochets de Brassens, à Paul Celan & aux enfants blonds de Göttingen. Bien sûr, ce n’est pas la Seine : de l’eau a passé sous le pont, ce n’est jamais le même fleuve qui coule. Lieu chargé de symboles, le réel bouffe l’imaginaire puisque sous ce pont abject où tracent les bagnoles, il n’y a pas la moindre pierre plate ni même le moins maudit des poètes. Apo est mort, Brassens est raide, Celan-le-noyé a été repêché il y a bien longtemps, les mots mentent & pourtant il faut continuer, nous ne savons rien nous dire & pourtant ce ne sera jamais la Seine & il pleuvra toujours sur Nantes. Les enfants blonds sont éternels : ils croient vaincre le temps, le silence & la nuit avec de simples mots ; les quelques adultes que j’aime sont comme ces gosses-là, à Paris & à Göttingen.

Nous sommes en 1997. Elle vient de mourir & je ne sais pas encore que ma plus belle histoire d’amour, c’est elle. La une des journaux endeuille ce matin de novembre où je traîne avec deux amis. Je jette un œil indifférent & tente, à mon habitude, de balancer une phrase pseudo-définitive pour masquer mon manque d’assurance & mon inculture : "Pfff, de toute façon, à part l’Aigle noir qu’est super pourrie & Göttingen, elle a rien fait de sa vie." Pauvre con que j’étais, la vie s’est depuis chargé de me foutre la plus belle des tartes dans la gueule dans ma face puisque je regretterai toujours de ne l’avoir connue de son vivant, oh Seigneur ses concerts, & même si je n’ai pas changé d’avis sur l’Aigle noir, oh mon Dieu ses chansons.

Bien sûr ce n’est pas la voix. Ruisseau de cerisiers en fleurs baigné de printemps, reflet du soleil qui vient de se lever, moment fragile qui déjà s’enfuit & sait devenir fleuve grondant charriant la boue & le dégel, les cadavres de nos angoisses & la violence de ce monde de taré-e-s.

La seule à même de lutter contre mes terreurs quand Lexomil ou Deroxat me manquèrent. Oui, elle m’a sauvé la vie & la raison un soir de Nancy quand la chouille battait son plein à côté & que je m’étais enfermé dans la piaule pour l’écouter & pleurer.

“Ils ont beau vouloir nous comprendre
Ceux qui nous viennent les bras nus
Nous ne voulons pas les entendre
On ne peut pas on n’en peut plus
Et tout seul dans le silence
D’une nuit qui n’en finit plus
Voilà que soudain on y pense
A ceux qui n’en sont pas revenus
Du mal de vivre”

La seule à même de rajouter de la joie à la joie du matin au jardin quand mai apporte la plénitude de ses lilas & de sa douceur après un long hiver.

La seule que je connaisse qui puisse être à la fois nécessaire à la nuit & à mes doutes, à l’aube & à mes illusions, à l’après-midi & au crépuscule, aux espoirs qui me hantent, au passé qui me mine & au présent que j’oublie de vivre.

Bien sûr ce n’est pas la femme. Celle qui distribue des capotes dès 1984 lors de ses concerts ; elle qui a toujours chanté l’amour ne peut accepter une maladie dont on parle à peine & qui fait crever celles & ceux qui s’aiment, celles & celles qui s’aiment, ceux & ceux qui s’aiment.

Celle qui chante une fois par mois en prison & qui est aussi intransigeante sur la température de sa loge que sur l’acoustique de la salle. Au directeur du Quartier de Haute Sécurité de Lyon qui s’offusque des 19°C & du tabouret rituels, elle répond que son public a partout droit aux mêmes égards. Un bouquet de roses portant la simple mention "Quartier des femmes, Fresnes" fut peut-être le plus bel hommage rendu à sa dépouille de novembre ; elle qui disait de Brassens qu’il grattait les cordes de sa guitare comme on secoue les barreaux d’une prison.

Celle qui refuse obstinément de chanter en plein air & que Jean-Louis Foulquier parvient à convaincre pour une de ses Francofolies. Ce soir-là, les 5000 spectateur-rice-s présent-e-s jetèrent autant de roses sur la scène au début du concert.

“Ce soir je vous remercie de vous
Qu’on importe ce qu’on peut en dire
Je tenais à vous le dire
Ma plus belle histoire d’amour c’est vous”

Bien sûr ce n’est pas l’indicible d’une minute ou d’une vie, moments de chansons ou larmes dans les yeux, c’est cet autiste dans l’hôpital de jour où bosse Jean-Charles & qui demande "le disque à moi" pour parler de l’Olympia ’69, c’est ce gars qui allait y passer six mois plus tard & qui pleurait dans les couloirs de la fac en me parlant d’elle, c’est Manu la théâtreuse se mettant dans sa loge avant chaque spectacle la Barbich’ des dernières années quand l’énergie & la rage suppléaient la voix, c’est une bretonne qui me prit un jour en stop dans son AX pourrie & qui n’avait qu’un immonde cassette de techno avec, au beau milieu de la face B, Attendez que ma joie revienne, c’est l’héroïne d’un polar épistolaire que je ne publierai jamais, c’est des gosses de 17 ans d’un quartier chaud à qui j’ai passé Göttingen en boucle entre Nanterre & Saint-Denis pour aller voir un match de foot entre la France & l’Allemagne au lendemain d’un 11 novembre, c’est le Dju & nos bourrages de gueule sur Drouot, c’est ces bars de Paris, Loctudy & Toulouse où le silence se fait quand sa voix couvre les odeurs de bière, c’est Thomas Fersen qui dit d’elle qu’elle est la plus grande chanteuse du monde puisqu’elle chante comme on berce un enfant, c’est Magik Mag la chanteuse de trip-hop draguée sur Meetic grâce à Dis quand reviendras-tu, c’est le Bobino ’67, plus bel album au monde, Madame enchaînée avec Parce que (je t’aime), une lettre à Zidane pour ses adieux & une cousine de 10 ans qui chante les Rapaces sous le ciel noir de l’Argoat entre Oust et Brocéliande, c’est toutes mes ex que j’ai saoulées & qui ont fini par reconnaître son génie à défaut du mien – sans doute Nihel & Karin pensent-elles un peu à moi au détour de ses chansons -, c’est tou-te-s celles & ceux qui la chantent, c’est ma mère & Madame, c’est Elise Samir Christiane Nadia Seb & Véro-la-si-loin, c’est le prénom qu’aura ma fille, c’est Flora la belle insoumise pour qui j’écris ces mots & que je n’attends pas au bout d’une ligne droite, c’est ce père inconnu à qui j’écrivis une fois pour demander de la thune & de l’amour & qui ne se rendra peut-être compte de mon existence qu’à l’heure de sa dernière heure, & pourtant je lui parlai de Nantes & des loups, de la pluie, des adieux & des je t’aime. Mon père, mon père. Il pleut sur Nantes, & je me souviens, le ciel de Nantes rend mon cœur chagrin.

Kassdédis & inventaire à la con. Je n’y peux rien, elle m’accompagne tous les jours depuis bientôt dix ans, elle est indissociable de mes joies & de mes désamours, certain-e-s sont passé-e-s, d’autres continuent vaille que vaille à illuminer ma vie ; celles & ceux qui l’aiment ne peuvent être mauvais, c’est impensable, c’est impossible.

Alors oui, les enfants ce sont les mêmes, sous le pont Mirabeau, à Nanterre & à Göttingen, quand je parle du bout des lèvres, tu m’entends du bout du cœur, ton image me hante, je te parle tout bas, voilà que sans savoir pourquoi soudain je ris, voilà que sans savoir pourquoi soudain je vis, ma plus belle histoire d’amour, ma plus belle histoire d’amour, ma plus belle histoire d’amour, c’est toi.

à tableuhhh




On explose le budget bouffe, on invite plein de z'ami-e-s avec cette recette familiale ancestrale qui déchire tout et qu'est pas si dure à faire que ça en a l'air...

Recette qui vient de mon grand-père qui la tenait de son grand-père qui la tenait...

En guise d'intro, j'ai eu le droit d'avoir la photocop' de cette recette, le jour de mes 25 berges, par ma tante (lors que je me vantais de savoir faire à bouffer...). Elle m'a dit -non pas d'aller siffler sur la colline- en substance "c'est toi qui fais le plat principal pour le repas de Noël, 35 personnes. Du coup, j'ai moins fait le fier...

La veille de Noël arrive, je m'enferme dans la cuisine et hurle dès que quelqu'un pénètre alors que je charcute les coqs : "Naaaan, cassez-vous, pas besoin d'aide !!!". Rebelote le lendemain matin, Bérus à donf' j'entends derrière la porte fermée les hurlements horrifiés de la famille. Costar et tablier par dessus, les bouteilles (une caisse de 6 juste pour la sauce !) se vident avec quelques prélèvements pour le cuistot...

Moment de vérité, les cocottes se transvasent dans les plats. J'apporte le premier à ma plus vieille tante qui m'a filé la recette qu'elle tenait de son père qui la tenait de...

Elle goûte.

Je suis au bord du gouffre.

"Hmmmmm, il est bon Doudou... Tu peux garder la recette...."

Je souris, fier, goûte à mon tour ; c'est vrai qu'il est pas dégueu...

Examen de passage, rite initiatique, c' que vous voulez... C'est un des jours où j'ai compris c' que c'était que l'héritage...

et la recette, donc :

you need for 6 personnes :

- 1 beau coq découpé par ton boucher/volailler - 1 bottle et demie de champagne (brut !) + combien tu veux pour boire en mangeant - sel poivre - 500 g de champi de Paris - une larme de marc de Champagne (à défaut cognac, armagnac, whiskey) comme dirait Maïté

- faire revenir et dorer tes morceaux de coq en cocotte (beurre + filet d'huile)

- flamber (le mieux est au marc de champagne mais faut pas abuser)

- quand les flammes baissent, fermer la cocotte et laisser mijoter 5 minutes

- verser la bottle et demie de champagne, sel poivre et champi de paris frais en lamelles

- laisser cuire une bonne heure et demie / deux heures

- pendant ce temps-là, préparer un beurre manié (i.e un quart d'une demi-livre de beurre molle battue avec deux cuillères à soupe de farine -c'est pour lier ta sauce !!!-)

- quand le coq est cuit, sortir morceaux de coq, mélanger sauce et beurre manié, remettre les morceaux du coq.

- laisser mijoter à feu doux avant de servir

- se mange of course avec du champ'

- se réchauffe très bien...

- accompagnement : patates ou polenta (de la fécule !)

- bon appétit bien sûr !


(OST : Bérurier noir - Vive le feu)