mardi, octobre 30, 2007

le voyage en Grèce, vol. III

Dès le début de la journée, je crois que je vais y passer.

Marché municipal d’Athènes, deux heures de l’après-midi, je fais mon touriste curieux et m’engage dans une allée. Des bouchers. Partout. Et des carcasses de viande. Et des bouchers. Pas un seul client, rien que des bouchers. Je marche vingt mètres, vois une issue au bout de l’allée, je ne peux plus reculer. Et les bouchers, juste au moment où je passe, ils aiguisent leurs couteaux qui ressemblent plus à des sabres qu’à des couteaux. Il fait plus de 25 degrés, et la sueur commence à sacrément dégouliner de mes aisselles. Et putain qu’ils font une drôle de tête quand je passe au milieu d’eux. L’impression d’être dans une scène inédite de Midnight Express. Et les bouchers grecs, en plus, ils ont la moustache de l’emploi, alors si t’ajoutes en plus l’odeur de viande et le bruit des couteaux qu’on aiguise, t’es bien content d’arriver au bout de l’allée et de te retrouver au milieu des poissonniers. Et tu chéris le poulpe qui sèche tendrement à un croc.

Savoir que je vais monter, tout à l’heure. Ne s’attendre à rien, surtout. Je passe avant par l’ancienne Agora, bikoz quand même l’ancienne Agora, là où les camarades Démosthène, Périclès, Socrate et tous les autres inventaient un monde. De loin, je crois qu’elle m’attend.



La montée, sous le même soleil qu’il y a deux millénaires. Il fera toujours beau sur Athènes. Les oliviers, les théâtres, le marbre, je pense à Egée qui attendra toujours la voile de son fils, je pense à Sophocle et Euripide qui ont fait à mes pieds, je pense au Nietzsche, à la naissance du chant du bouc, et à son âme cramée de Turin.

Se retourner. Voir la ville et le monde entre les colonnes des Propylées. Comprendre, un peu, pourquoi ici. Ce ne pouvait être autrement. Vertige.

Marcher, un peu. A peine le temps de respirer que le Parthénon m’explose à la gueule. Trop de force, de justesse, de perfection. Besoin de parler.

S’asseoir. Un skilos adespotos me rejoint. Un chien errant. Je le caresse, l’embrasse, je lui raconte sans doute cette baffe dans la gueule que je suis en train de me prendre. Et puis, comme dans ces lieux où je ne sais faire autrement, comme Tony Leung à Angkor, comme dans la solitude d’un champ de coton, je lui dis un secret. Je lui dis qu’il est évidemment libre de le garder pour lui, de le hurler à la face de l’univers ou de s’en contrefoutre. Je vais pour me lever, le caresse et l’embrasse une dernière fois. Le chien tourne la tête vers moi, ouvre les yeux ; il est aveugle. Je chiale comme un gosse alors que, là-haut, Homère doit bien se marrer.

Le reste importe peu, Athéna, les cariatides et la lumière sur l’Erectheion.

La ville, la mer, les îles entre les colonnes des Propylées. Je ne sais pas si je retourne au monde ou si je viens d’en sortir.







Le Pnyx, en fait Filopappos, colline des Muses. Toujours sous le choc, les chemins me plaisent, m’attirent, me paument. La vue, en haut, sur l’Acropole et le Pirée. Une colline à l’abri, au secret, au repos. J’ouvre la bouteille de Retsina et offre instinctivement les premières gouttes à cette terre, comme un hommage. Les Muses sourient.





Exarchia by night, à boire du blanc en lisant Montaigne. La serveuse s’approche, mate vaguement mes Essais et s’écrie : « Oh, je suis une serviteuse qui parle un peu français… » J’éclate d’un rire aussi pur et frais que le lefko krassi qu’elle me sert.

Une meuf qui boit son rouge à l’autre bout de la terrasse me demande si je parle français. Prof de danse contemporaine expatriée à Athènes, les verres de pif se succèdent, les sujets de discussion aussi, la Grèce, la France, forcément et puis Pietragala, Lisbonne, Koltès. Je commence à être joyeusement bourré et j’ai malgré tout la lucidité d’halluciner sur cette ville où je suis en train de débattre avec une danseuse comme si de rien était sur Tabataba.

Je foire consciencieusement le dernier métro mais parviens malgré tout à trouver l’épicerie qui me fournit la bière pour la route. Et je me paume, fatalement. Et paumé dans Athènes à 4 heures du mat’ quand t’es ivre mort et que t’arrives même plus à lire les noms de rues sur ton plan tellement les lettres elles bougent, tu te dis que ça va être folklo pour retourner à la maison.

Comme toutes les nuits, les MAT, équivalent de nos CRS, de l’astinomia encerclent Exarchia. Présence efficace et symbolique. Dans ce que je crois être mon grec le plus pur, ma bière et mon plan à la main, je demande la route de Pato Katissia à un des trois Robocops. « I dont know, my friend » qu’il me répond illico. Il attend dix secondes puis me dit avec un mauvais sourire de prendre à gauche. Ce que je. Un autochtone dans la rue de gauche, chevelu, bonne barbe, et l’air foncièrement plus sympathique que le monsieur que je viens de voir avant. Je demande confirmation. Bizarrement, c’est la direction inverse qu’il m’indique. Ayant plus de propension à me fier aux bonnes gueules qu’au bras armé de l’Etat, je fais demi-tour, et repasse devant les keufs en les regardant d’un méchant regard alcoolisé. Contrôle d’identité. Je brandis mon passeport et hurle un truc du genre : « I’m a french citizen, I’m gonna cry to my ambassador » et, bizarrement, ils comprennent tout de suite. Et ils poussent même le vice jusqu’à me dire : « Pardon monsieur, c’est une erreur. Au revoir. » En français.

Mais avec tout ça, je ne suis toujours pas près d’être dans mon pieu. La route est cependant facile, même si elle longue, disait en substance Raffarin. Après le deuxième feu, je prends à gauche, puis à droite et logiquement c’est bon pour dans une demi heure. Manque de pot, je marche tout droit depuis une heure et quart et c’est toujours pas bon. Un mec me dit que j’ai carrément dépassé et que je dois retourner sur mes pas, et que c’est pas tout près. Blourg.

Je redemande à deux gars qui sortent de chez eux. Ils me disent un truc du genre « Oh, ça tombe bien, on passe à côté en bagnole, si tu veux on te dépose ». Un des gars m’ouvre la porte, j’ai bien un éclair de lucidité pour me dire « Putain, Ubi, paumé, bourré dans une ville de dingues, tu parles pas un mot de grec et tu vas monter dans cette bagnole. Dans deux minutes au mieux ils sortent la lame et te dépouillent, au pire ils te prennent en otage et personne saura jamais comment t’as fini… ».

Je monte dans la caisse. Les deux gars refusent la clope que je leur offre. Ça sent de pire en pire cette affaire. Et là, je craque. Quand le chauffeur me demande d’où je viens, je ne trouve rien de mieux à lui dire que « Parisssssss, France ». Le type qui non seulement se fout dans le gueule du loup, mais referme ensuite avec application les mâchoires. Genre j’aurais pas pu dire Nanterre ou Reims ou Nancy ; non, Paris, carrément, alors qu’en plus je viens même pas de là.

Je leur demande s’ils sont Grecs. « No, Timisoara, Romania ». Et là, faut bien dire que je suis au plus mal. Manquerait plus que je sois tombé sur les deux derniers survivants des charniers de Ceausescu. Cigarette ? Non ? Et là, les bouchers et les flics, à côté c’est la petite maison dans la prairie. J’essaie de faire comme si que tout est normal et que tout va bien alors que dans cinq minutes, je vais sûrement me remettre à croire en Dieu.

« This is Kato Patissia ». Je sors de la bagnole. Z’êtes sûrs que vous voulez pas une clope ? Dax’ les gars, efkaristo, c’est cool. Ils démarrent en faisant des grands gestes de la main pour me dire au revoir.

Deux étrangers aussi bons et simples que dans une chanson de Brassens.

Mon pieu. Un verre de Retsina à la main, je ris.

Welcome in Athens.

Stayin’ alive.

lundi, octobre 29, 2007

le voyage en Grèce, vol. II

J. me fait faire le tour du non-proprio. Ça commence par l’EMME, école de médias occupée depuis mars par une poignée d’irréductibles. Des tags, partout, dans toutes les langues. A croire que l’internationale révolutionnaire, la vraie, celle qui est le genre humain, est venue ici pour lutter contre l’article 16.



Themistocleous, la montée vers Exarchia. Cette ville est un putain de bordel. Un truc de dingue. Le Sud, forcément, la Méditerranée, le crade et le sublime. Et des odeurs. De vraies odeurs qui t’explosent les narines. Athènes, c’est d’abord une ville qui sent. Le poisson et le cuir, l’huile, les pins et les épices, une ville qui sent la vie et le foutre. Et ces mots, toujours.

(hommage au vieux Croate)

Se sentir chez soi, immédiatement. Pas seulement à cause de la petite place bordée de cafés au milieu de laquelle flotte éternellement le drapeau rouge et noir, pas seulement à cause des banderoles accrochées au-dessus des rues qui te rappellent là où tu es, mais peut-être tout connement à cause de ces gens, d’une ambiance, un je ne sais quoi qui te fait être là, dans l’évidence, tout de suite, et que tu es sûr d’avoir trouvé dans ce lieu un endroit qui fait désormais partie de ta vie, où il sera toujours possible de revenir, dans six mois ou dans dix ans, parce que c’est comme ça, la vie qui passe et qui revient, les luttes, les espoirs et le désenchantement, mais ce quartier, et quelques autres certitudes.





(hommage aux Mon Dragon ? "Contre la soumission")

Passage chez D., à l’improviste. Bonheur des retrouvailles. Rencontrée à Paris à la fin d’une manif pour Oaxaca, de ces petits réseaux de l’ombre si importants, de ces liens ténus entre dix personnes qu’ils ne pourront jamais comprendre parce qu’ils ne croient qu’aux grands arbres, de ces ami-e-s de lutte et de fraternité, de joie. K. est là aussi ; les bouteilles s’ouvrent, les rires, nos vies qui se racontent, ce monde que nous refaisons pour la milliardième fois, ce bonheur, tout simplement.

Ballade sur la colline du Strefi. Elle est toujours là, au loin, attirant mes regards. Une lumière de malade tombe sur le bordel de cette ville que je ne cherche même pas à comprendre. Je suis bien, si bien…



Deux jours que je la contemple, que je la désire. En faire le tour, ce soir, de plus près. La masse imposante, les oliviers, les lumières. Le respect et la peur. Avant de partir, je dois lui demander s’il sera possible de venir demain. Je crois qu’elle me dit oui.



dimanche, octobre 28, 2007

le voyage en Grèce, vol. I

Ça fait toujours ça la première fois.

Aéroport. Zone de transit, froide, aseptisée. Êtres en partance. Mauvais anglais devenu une norme internationale et le capitalisme qui ne prend même plus la peine d’être triomphant. Je stresse, malgré tout. Clope, chiottes, clope, chiottes, clope… Et nom de Dieu c’est triste, Roissy, le dimanche.

Alors qu’en fait, l’avion, c’est plutôt rigolo. Surtout quand ta voisine est une charmante bilingue de trente ans habitant à Exarchia, le quartier regroupant tout ce qu’Athènes compte de furibard-e-s et de déglingué-e-s. Surtout quand les deux verres de blanc tapent directos dans le crâne. Surtout quand elle te donne son numéro de téléphone en te disant de surtout pas oublier de la rappeler.

Eleftherios Venizelos. Trois quarts d’heure de bus pour rejoindre Syntagma. J’écarquille les yeux comme tout pékin qui débarque dans un ailleurs. Lecture frénétique de toute pub, de toute enseigne, des moindres traces écrites. C’est donc ça, la Grèce, un peu.

Le J. -avec qui je vais crécher les deux semaines- m’attend sur la place du Parlement et me saute dans les bras, trop heureux de pouvoir enfin parler français. Je me marre, trop heureux d’être à Athènes. Je sors l’appareil pour le premier pochoir anar du séjour.



Il me traîne dans une taverne. Pas encore trop dépaysé, je pourrais être ce gars allant bouffer dans un quelconque resto grec, n’importe où. Et pourtant. Premier verre de Retsina. Le litre va y passer. Souvlaki et poulpe. Huile d’olive.

Virée vers Monastiraki, je n’ose pas trop regarder là-haut, où je devine pourtant sa présence. Je me concentre sur les tags, me marre avec J., m’émerveille d’un rien. Et ces tags, quand même, partout, pas un bout de mur qui n’ait perdu son pucelage.





Et puis, tout doucement, oser. Lever les yeux. Sentir son poids. Ça fait 2500 ans qu’elle m’attend, ça fait plus de 10 ans que je la désire. Mais ne surtout pas y aller comme ça, comme un barbare, le premier soir. On a tout le temps. Je viens en paix. Se reconnaître, déjà. Tourner autour, un peu, de loin. Putain qu’elle est belle. Sortir l’appareil. Prendre une photo, non pas d’elle, mais d’autres colonnes, avec elle au loin, en flou. Ne rien brusquer.

vendredi, octobre 26, 2007

le voyage en Grèce, préface

"Longtemps fleuron de la culture classique et couronnement des « humanités » dont il venait conforter les principes, le voyage en Grèce répond également aujourd’hui à d’autres aspirations. Au-delà d’une crise des valeurs -une crise de civilisation ?- qui, avec la notion même d’humanisme, remet parfois en cause l’homme lui-même, l’art et l’histoire helléniques passionnent toujours, et davantage encore au fur et à mesure que progressent la mise au jour et la connaissance des vestiges du passé. Mais pour un nombre croissant de visiteurs, le soleil et la mer, offerts ici à profusion, le contact avec une nature retrouvée et un peuple malicieux et fraternel, ajoutent leurs attraits. Entre ces séductions, en fait bien souvent mêlées, il ne faut pas voir d’oppositions ; elles sont complémentaires."

Ainsi s'ouvrait le Guide bleu Hachette de 1977...

A dimanche les z'ami-e-s.

dimanche, octobre 14, 2007

mes z'ami-e-s, mes z'amours, mes z'emmerdes...

En vitesse, en hommage, comme ça, juste avant de partir, pour la beauté et pour le reste, pour les derniers mots.



"La femme Narsès. - Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?

Électre. - Demande au mendiant, il le sait.

Le Mendiant. - Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore."


Jean GIRAUDOUX
Électre, II.10





(OST : Brigitte Fontaine - Ah, que la vie est belle)

samedi, octobre 13, 2007

ciao ciao les z'ami-e-s j'me barre...

Η το μεν λυχνου ϕως, μεχρι σβεσθη, φαινει και την αυγην ουκ αποβαλλει⋅ η δε εν σοι αληθεια και δικαιοσυνη και σωφροσυνη προαποσβησεται ;


La lumière de la lampe brille et conserve son éclat jusqu’à ce qu’elle s’éteigne ; la justice, la sincérité et la sagesse s’éteindront-elles avant l’heure ?

Marc Aurèle




Ubi va prendre l’avion pour la première fois de sa vie.

Ubi va essayer de trouver un peu de sagesse antique, 3000 ans d’histoire et la naissance de la civilisation occidentale, de la démocratie, de la tragédie.

Ubi songe avec délices au moment où il verra le soleil se lever sur Delphes, un verre de Retsina à la main, en songeant à la Pythie et à ce sacripan d’Œdipe.

Ubi frémit à l’idée de déclamer du Nietzsche ou du Homère dans un quelconque théâtre antique.

Ubi sourit en sachant qu’il va retrouver certains de ses ami-e-s de l’ombre.

Ubi tremblera sûrement quand il franchira les portes de l’école polytechnique Metsovio d’Athènes, où éclata le 17 novembre 1973 la révolte contre la dictature des colonels et où se fomentèrent ensuite quelques bordels réjouissants.

Ubi part deux semaines en Grèce, bordel de merde.

Ubi est tout excité et heureux comme c’est pas permis.

Ubi vous racontera.



(Ubi ne passe pas par Rome et ne touche pas les vingt mille, Hellas, trois fois Hellas)

et d’ici là…




kit de survie (le choix fut dur) :

Samuel BECKETT, Nouvelles et textes pour rien, éditions de Minuit
Marguerite DURAS, la Maladie de la mort, éditions de Minuit
Marguerite DURAS, C’est tout, P.O.L
MARC AURELE, Pensées pour moi-même, Budé et traduction de Frédérique Vervliet
Pierre MICHON, Vie de Joseph Roulin, Verdier
Michel de MONTAIGNE, les Essais, Pochothèque
Maurice RAT, Aide-mémoire de grec, Fernand Nathan
SENEQUE, Lettres à Lucilius, livres I-IV, Budé
SOPHOCLE, Tragédies, Folio



(OST : Bimbo Killers - Surfin' TV)

vendredi, octobre 12, 2007

du sang sur les murs



Yeahhh, bloody rock'n'roll terror party show, tremblez braves gens, le deuxième album des monstrueux Bimbo Killers vient de sortir avec son bouquin (de 240 pages !) attenant pour la modique somme de 15 dollars.

Pas le temps hélas, de faire une chronique. Mais que des stars ont gratifié de leurs crayons cet objet vertigineux et époustouflant : la Cha, le Mordoc, le Buck, le Yan HxC, le Melvin, le Ekkeh, le Dadu, le BJ, le Pierre Bunk, le Akecheta, tout ça et des autres sous la houlette du démesuré Pierrick Starsky. Et le skeud est terrible.

"L'amour est un miroir brisé, j' réfléchis trop, lui(s) pas assez."

Avec deux textes du Ubi en prime (dont un avec des tofs du Thib' -non crédité- oupsssss...), un vieux toujours d'actualité retravaillé pour l'okkaze.






« Nul ne doit faire semblant d’être vivant.
Il ne s’agit pas de faire semblant. Le nombre
des blessés n’a pas été fixé d’avance. L’épilogue
n’a pas encore été écrit. Il n’y a pas d’épilogue… »



Je suis le 22 avril 2007.

Je ne fais pas semblant. Je suis bientôt mort. Je suis ailleurs.

Ici, les mots sont ma seule arme.

Je suis celui qui tue, les freluchettes qui se prennent pour des stars, l'ex et le futur et le présent président de la prétendue république, ceux qui croient faire de la musique à grand renfort de nihilisme, Debord et tou-te-s les suicidé-e-s, de Sénèque au VanGogh killed by society, et les Bimbos, et les Killers.

Je suis racaille sur la grande dalle d'Argenteuil, et nique sa mère l'intégration.

Je suis sans-papiers rue Rampal, étranger de ma propre ville, méconnaissable, le reflet du miroir ne me ressemble pas, moi, sans-papiers de l’intérieur.

Je suis la peste et le choléra, le hasard et la nécessité, l’aurore et le crépuscule.

Je suis marin du Pascal Paoli sous l’œil lubrique de TF1 et du GIGN.

Je suis les feux de joie de novembre 2005.

Je suis italien venant faire le siège de la Sorbonne, je suis -fils de communard- le Paris debout qui se réveille.

Je suis les barricades d’Ungdomshuset et les miroirs d’Oaxaca.

Je fracasse les vitrines de l'UMP et des autres à Avignon et ailleurs, je suis dehors, je suis au trou.

Je suis la gare du Nord et les sept heures qui s’en suivent.

Je suis ailleurs, je suis la suite que j’ignore, la rage qui couve, la marmite qui explose.

Je suis la France, l’Anti-France, je suis le peuple, je suis ailleurs, je suis au monde.

Je suis le 6 mai 2007, je ne vote pas, je suis cette voix de révolte qui jamais ne s’éteint, corps qui se réchauffe à celui de mes frères, cœur qui gonfle, je suis les armes qui se cachent, je suis le sang impur, le bataillon de l’ombre.

Je ne fais pas semblant. Je suis bientôt mort. Je suis ailleurs.



« … Il n’y a pas d’épilogue. Personne n’est
tenu de faire semblant. Je représente ce que
je suis et rien de plus. Je ne cherche pas à
représenter un état différent de celui où je suis,
ici, à cet instant. »

Peter HANDKE, Outrage au public




  • et ça se trouve par là...


  • Gloire à Stéphanie Cotine, Go Ray, Pierrick Starsky et Ted Alonzo !

    mercredi, octobre 10, 2007

    Les enragé-e-s ouvrent le bal !



    "Les idées s'améliorent. Le sens des mots y participe.Le plagiat est nécessaire. Le progrès l'implique. Il serre de près la phrase d'un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l'idée juste."

    Guy DEBORD, la Société du spectacle.



    Photos de manif à Montebello publiées sur Indy. Se rendre compte qu'ailleurs, à l'autre bout du monde, dans une bulle de France au nord d'un continent (nique sa mère Yves Duteil !), ça lutte aussi, bien mieux que nous, avec la rage, la rage car impossible est cette paix tant voulue, la rage car c'est tout qui nous reste, la rage car ce monde ne nous correspond pas quand Babylone s'engraisse pendant qu'on crève en tas.

    Se dire que le sens des mots importe aussi là-bas, plus que tout, et que cette lutte est avant tout celle de l'intelligence.

    Nous c'est nous et nos frères/soeurs.

    And the rest is silence.

    Radio libre assurément improbable, je présume la console foireuse, le manque d'auditeurs, les problèmes techniques sans lesquels la radio amateur n'est plus de la radio mais de l'avoine pour moutons, et la foi, la foi inébranlable.

    Nouveau rendez-vous du mercredi, en plus du rituel Canard. Les laquais se dé-chaînent.

    Ca parle de trucs de là-bas qu'on aimerait tant vivre ou penser ici. Les mots et l'accent à travers le poste jaunissent la France comme une vieille photographie. Fut un temps où il parait qu'on était le pays de la liberté et qu'on a illuminé le monde avec ça... "Doit-on donner son identité lors d'un contrôle policier ?". Nomdidiou, si on avait le choix ici, arfff, humpfff... Plus tard, juste après, NTM enchaine avec "Assassin de la police". Le dernier juge que j'ai vu avait plus de vice que le dealer de ma rue.

    Quelques mails échangés. Les mots, le rire, la classe. Je m'aperçois que la miouzikal prog' a plutôt la classe, chansons qui me touchent autant que les mots me parlent. Fitter happier radioheadien, la Keny et sa rage, des québécois classieux que jamais ils ne nous enverront bikoz ils les gardent jalousement (à la différence des glandues de chanteuses à poitrine opulente et voix aigrillarde, merci les cousins ! -m'en fous, j'écoute Desjardins et Plume Latraverse-), et la Hachloum qui reprend la version situ du Cinq heures de Dutronc en '68.

    Je pense à la Bolch' et au Dadu. Idée essentielle à la con.

    Ce mercredi, fidèle comme depuis quelques semaines au rendez-vous de 17 heures 30, la magie d'internet, 11 heures 30 là-bas. Les enragé-e-s ouvrent le bal.

    Bah oui, on vous écoute à Paris, en banlieue, ailleurs. Emission confidentielle d'une radio de l'ombre. Il n'y a rien d'incroyable. Juste de la lutte et de la vie qui suintent des enceintes.

    La Bolchevita, "groupe assez trash", attaque pour 7' 15'' de fureur. Je suis bien, je me marre, je pense à la Lorraine hurlant dans un studio de Montréal, cet avis de tempête pour tous les combats, de ceux qu'on a perdus aux prochaines illusions de justice et de dignité.

    J'appelle le Dadu, lui explique vite fait que son défunt groupe passe tout-de-suite-là-maintenant sur une radio québécoise, il n'entrave pas grand chose, mais pourquoi comment, il se marre, heureux, flatté de l'évidence de ce petit bout d'internationale qui est le genre humain.

    On est à mi-chemin entre Montreuil, Nancy et Montréal, je pense à cet honneur de la part de deux meufs inconnues que je ne connais pas, je pense à ce cadeau pour ce gars que j'aime, je pense à cette Commune qui emmerde les bâtards de Paris et d'ailleurs.

    A cette heure, les blindés de la police se promènent au Québéc. Ici, en plus, on a les hélicos, les drones, les CRS à chaque carrefour. Ailleurs ils ont les chars et les militaires qui tirent à vue.

    Mais ils ignorent les réseaux de l'ombre qui mûrissent et s'organisent. Qui s'aiment, d'Oaxaca à Athènes en passant par Hochelaga.

    Sans se connaître, savoir les autres, se reconnaître, aimer les siens. Et tous les fuckin' blindés du monde n'y pourront rien.

    And the rest is silence.



    pour écouter :
  • c'est par là puis...

  • "Podcast"/"MCV"/"Mercredi"/"11h30"



    (avec des bouts de NTM, de la Arkana et du Tiqqun eud'dans
    et une photo avec de la vraie mirabelle lorraine dans des verres à Nancy, na !)

    dead flag blues


    mon passé est abject
    mon présent est invivable
    heureusement je n'ai pas d'avenir



    (OST : Radiohead - No surprises)

    lundi, octobre 08, 2007

    paumé dans la tradal...


    "Et la sensualité des vies désespérées"

    Pour la dernière fois, je me lève. Je lui donne en liquide les vingt euros rituels. J'ai dû lui parler mes désamours, de mes espoirs, de Wong-Kar Waï, ou de Barbara, pour changer. Je lui dis "à bientôt, peut-être". Je me taille, un peu obligé, un peu à regret. Il me salue, puis, dans le couloir, juste avant d’ouvrir la porte, "au fait, monsieur Faciunt, vous avez vu Lost in the translation ? Euh non… Voyez–le." Derniers mots.

    Quatre ans plus tard. Je ne l’ai jamais revu, je n’en ai pas vu d’autre, j’ai toujours une croume de 340 euros (ah, la culpabilité, la dette, tout ça…) et je viens enfin de voir Lost in translation. Juste en anglais japonais, version originale non sous-titrée quitte à être encore plus perdu dans la traduction.

    Le temps qu’il m’a fallu pour affronter ses derniers mots.

    Le temps qu’il leur faut pour s’affronter, cette première scène au bar, au bout d’une heure, ils se (re)trouvent, tant d’espace entre eux deux. Il lui allume sa cigarette.

    La Dolce vita, plus tard, sur la télé de la chambre d’hôtel, et Anita sous l'eau qui ruisselle. Elle appelle Marcello. Elle apellera toujours Marcello.

    Cet arbre sur lequel elle noue son papier et son désir. Je repense à la bouche à secrets d'In the mood for love, tout vers la fin, au milieu des ruines d'Angkor.

    Ce rien qui enveloppe les silences, la distance, leur vérité. Pars, surtout ne te retourne pas. Reste. Cours. Rejoins la. Hurle. Deux corps qui se frôlent. Ris, tendrement, de la joie de l’évidence. Pars.

    "Que tout le temps qui passe
    Ne se rattrape guère
    Que tout le temps perdu
    Ne se rattrape plus…"

    Le taxi attend.

    "Je suis là
    Je la suis
    Je n'ose rien pour elle
    Que la foule grignote
    Comme un quelconque fruit"

    Un film qui donne envie de tomber amoureux. Beau et rare comme la rencontre, la seule et unique, celle qui ne marchera jamais et dont on ne se remettra pas plus.

    Ce qui se glisse entre les mots, les images et les êtres.

    "E la sensualita delle vite disperate"


    (OST : Nick cave - Love letter
    avec des bouts de Paolo Conte, Brel et Barbara)

    dimanche, octobre 07, 2007

    tout ça pour ça...



    C'est M'sieur Michard qu'a eu l'idée. Il commençait à en avoir marre qu'on lui demande tout le temps où était passé Lagarde et qu'on l'appelle Lamich'. Faut dire, pour un prof de français, c'était plutôt normal. Mais là, une année avant la retraite, il a pété les plombs. Une blague un peu plus foireuse que les autres et ce fut l'explosion: tous les élèves virés, allez hop, dans l'bureau du proviseur, 43 fillette ma pointure et z'allez voir c'que vous z'allez voir, bande de p'tits morveux.

    Tous, sauf un. Le p'tit protégé de M'sieur Michard, l'autre souffre-douleur de la classe. Lui aussi, il avait tout pour en chier. On n'a jamais trop su pourquoi mais, dans un élan d'inconscience littéraire, sa mère, à sa naissance, avait choisi de l'appeler François-René. Comme l'autre. Le père avait bien essayé de la dissuader mais, réminiscence romantique à la con, elle avait dit: "C'est ça ou Werther." Et comme le paternel voulait réellement épargner des souffrances à son fils, comme il haïssait tout ce qui avait trait aux Boches, ce fut François-René.

    Et au collège, même les profs, ces bâtards, y allaient de leur petites vannes. Il comptait plus celles sur les mémoires, Saint-Malo, et les autres conneries du genre "tu me tournes le dos, Châteaubriand." Une fois, en bio, cette salope de m'dame Joly avait cru bon de faire deux séances sur les loutres. Deux séances avec les vieilles vidéos du CRDP où on voyait des loutres construire des huttes, nager, se sécher au soleil et surtout, surtout, se casser la gueule du haut d'un rocher. Frnçois-René avait tout compris. Il avait bien tenté de profiter de l'obscurité pour se barrer mais, manque de pot, la Joly l'avait à l'oeil. Elle alluma la lumière, triomphante. "François-Renééééé, qu'avez-vous? Ca vous embête de voir qu'une loutre tombe?" Elle avait enchaîné en donnant le plan du cours. Le grand A, les loutres et les rivières, serait vite expédié, suite à quoi on passerait au grand B, les loutres et les huttes, en espérant y rester moins longtemps que Châteaubriand. Ce soir- là, le pauvre gosse foira sa tentative de suicide qui consistait en un avalage méthodique de l'édition Pléiadesque de son illustre homonyme. Il s'en tira par un lavage d'estomac, son bide ayant refusé de digérer la reliure de maroquin vert.

    C'est donc en voyant François-René que m'sieur Michard eut l'idée. Comme il aimait bien les gosses malgré tout, et surtout les gosses malheureux, il organiserait à l'été une colo, au bord de la mer ou ailleurs, avec des enfants qui, comme François-René, souffraient de leur homonymie littéraire. Ils pourraient partager leurs expériences, leurs difficultés et, pendant quinze jours, ils seraient heureux, entre eux, sans que personne ne se foute de leur gueule.

    M'sieur Michard fit donc des recherches, passa des coups de fil dans tous les rectorats, activa ses réseaux, se démena. Il voulut rencontrer personnellement chaque gosse pour voir s'il en chiait réellement. Il élimina ainsi impitoyablement un Germain et un Tristan qui n'avaient entendu d'allusions aux fameux poètes maudits qu'une ou deux fois dans leurs vies. Il garda en revanche un Isidore parce que, vraiment, c'était quand même un prénom à la con. Les Arthur ne se faisaient pas trop charrier, sauf un dont les parents avaient choisi, dans leur idolâtrie rimbaldienne, d'emménager à Charleville. Le gamin avait à peine quinze ans, il buvait tous les soirs pour oublier et, quand il arrivait le lendemain au bahut avec la gueule de bois, ça ne manquait pas, tout le monde l'appelait Bateau. Il viendrait lui aussi.

    Une dizaine d'enfants partirent donc de Paris, le 1er août, direction Mimizan-Plage, ses pins, sa dune, sa plage. Outre François-René, Arthur et Isidore, y avait aussi Louis-Ferdinand, Honoré, le petit Marcel, Joris-Karl, Gustave et le pauvre Alphonse, prénommé ainsi par son comique de père qui tenait ab-so-lu-ment à ce que son fils, né de la Martine, sa femme, fût appelé Alphonse.

    Le voyage se déroula sans encombres: coups de cutter dans les sièges du bus, chansons débiles où des histoires de chauffeurs, de champignons, de filles qu'on détrousse, qu'on trousse et qu'ont la frousse se taillaient la part du lion. Un vibrant hommage à Tonton Cristobal fut rendu par Joris-Karl et Honoré. Un beau bordel, un joyeux début de colo.

    Un attroupement inquiéta cependant m'sieur Michard à l'entrée du camping des Flots Bleus: plusieurs camions-relais de la télé, un vieux beau, une hystérique avec un micro, une famille apparemment hollandaise, un chanteur chevelu et nasillard qui semblait ségosiller devant la famille indifférente. M'sieur Michard avait prévenu le directeur du camping qu'il viendrait avec une colo, ça, il en était sûr, mais est-ce qu'il avait dit que... medre, ça y est, il s'en rappelait maintenant, il lui avait effectivement dit que ces gosses avaient une particularité assez fascinante. Pffff, quel con il était, ça allait être coton pour passer inaperçu.

    M'sieur Michard rameuta la troupe, insulta Louis-Ferdinand et le petit Marcel qui jouaient à touche-pipi à l'arrière du car, rappela les consignes de sécurité élémentaires en présence de journalistes. Une voix horripilante les accueillit: "chers amiiiiiiiiiiiiiiiis, l'Académiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii..." D'Ormesson n'eut pas le temps de finir sa phrase, Arthur, du haut de son mètre vingt-trois, s'étant dévoué pour lui mettre son poing dans la tronche. Les autres l'achevèrent à coups de cutter. L'immortel rendit l'âme sous le soleil landais en se disant que la glorieuse littérature française n'était vraiment plus ce qu'elle était.

    Les caméras ignoraient ostensiblement le martyre de l'académicien pour se concentrer sur le visage de la nympho-girl "C'est extraôôôôôrdinaire, aujourd'hui, en direct pour C'est mon choix, des enfants aux prénoms ridicules..." Elle n'eut pas le temps non plus de finir sa phrase puisqu'Isidore, champion du monde de son collège de jet de fronde, lui en balança une entre les deux yeux d'un geste qui eût rendu jaloux tout un camp de réfugiés palestiniens. Elle s'écroula en injuriant les sales gosses mais en se disant que, quand même, ça ferait une p... d'audience, faut être poli, on n'est pas sur TF1. Isidore leva sobrement les bras en guise de triomphe et alla saluer l'Océan.

    Les Hollandais en short s'étaient barrés, mi-abasourdis par le spectacle, mi-écoeurés par le chevelu nasillard qui n'arrêtait pas de chanter. Ayant appris qu'une colo avec des gamins hors du commun viendrait à Mimizan-Plage, Hugues Aufray, le grand, le seul, l'unique, l'inamovible pourvoyeur de tubes à reprendre en chœur autour du feu de camp, la Gauffrette avait décidé de prendre sa guitare et de venir en stop depuis Paname. Bien sûr, ça lui avait pris trois jours mais il ne le regrettait pas, en plus, France 3 était là. Il s'était lancé, avait attaqué par Le Petit Âne Gris et, comme un Guy Béart à ses plus belles heures, il avait encouragé la foule (en l'occurrence la famille arrivée la veille de s'Hertogenboch) à faire la la la en tapant dans les mains. Les Bataves s'étaient donc barrés et Hugues se dit qu'il avait ptêt eu le tort de commencer par une chanson qui manquait visiblement de punch. Il continua donc par Santi-aaaaaaa-no, les mômes se rapprochaient, c'était bon signe. C'est Honoré qui le castagna en premier, vite suivi par les autres. François-René s'en donnait à cœur joie cependant que notre brave chanteur se disait que ces gamins étaient cruels, il allait mourir et il ne pourrait même pas leur chanter son immortel succès, à Joris-Karl et à Gustave, son refrain légendaire qui faisait pleurer les filles et larmoyer les garçons, non, il allait y passer et il ne pourrait pas leur chanter, à Alphonse et à Marcel, à Isidore aussi et à Louis-Ferdinand, Céline.

    vendredi, octobre 05, 2007

    das Leben der Anderen



    Le Seb m’avait pourtant prévenu. Ou plutôt non. Mais ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Lui qu’a vu trois millions deux cent soixante-quinze mille films un quart, qui me demande depuis dimanche « si je l‘ai regardé ». Et c’est qu’il est taiseux, d’habitude, le Seb, surtout à ce sujet-là. Il ne va pas t’étaler sa science, et encore moins ses émotions, comme ça, à tout bout de champ. Mais c’est le premier à décrocher à deux heures du mat’ pour te donner le nom du troisième assistant lumière d’un film lituanien que même les Inrocks ils l’ont pas vu ou celui de la bombasse de figurante dans le nanar indonésien que même Mad Movies ils ont pas fait gaffe.

    La preuve, la dernière fois que j’ai vu le Seb s’emballer spontanément pour un film, c’était le surlendemain de la fois où on était allé voir « Million dollar baby » et il avait claqué comme ça, l’air de rien, en terrasse, au milieu des cafés ou des bières : « putain, le Eastwood, quand même, il déchire… ». Je l’avais vanné sur la larme que j’avais vu couler deux jours plus tôt de son oeil, alors qu’un dealer de Kleenex aurait fait fortune à la sortie de la séance de ce film qui ferait pleurer un mur. Ce con-là avait dû balancer qu’il faisait chaud et qu’une poussière dans l’œil tralala… Voilà plus de trois ans. Et il s’est tapé un million cent vingt-trois films et demi entre temps.

    Donc, ça aurait dû me mettre le mammouth au tympan qu’il me demande depuis une semaine si je l’avais vu, planqué au beau milieu de la pile de DVD sur Quatorze qu’il m’a envoyée. Mouais, un film allemand… Titre à la con, « la Vie des autres », réalisateur au nom imprononçable, Florian Henckel von Donnersmarck, merde, je me suis tapé hier « la Grande illusion » avec Fresnay et Von Stroheim, Fresnay surtout, qui déchire tout ce qu’il y a à déchirer, et même le Gabin à côté on dirait un enfant de chœur tellement le Fresnay il déchire, et faut que je me tape un film allemand avec un titre bidon… Mouais, c’est vraiment pour faire plaisir au Seb.

    Premières minutes. La claque. La torture blanche. Tiens d’ailleurs, faudrait un jour que je rende ce bouquin aux copains de l’OCL à Reims… Le salaud. Dès le départ, tu vois une tête de salaud, le mec, l’acteur, le gars que tu sais que tu vas aimer haïr. Parce que comme petit salopard machinal et bestial, on fait pas mieux. Officier de la Stasi aussi zélé qu’un subordonné de Papon en 1944 (ou en 1961, ça marche aussi). L’acteur qui ne joue pas, qui ne dit rien, et que t’attends pourtant comme l’autre enflure de Porphyre Petrovitch dans « Crime et Châtiment ». Wiesler, joué par Ulrich Mühe. Fils de pute. Une sorte de Materazzi cinématographique.

    Sauf que, sans trop savoir pourquoi, après une heure de film, après un mouvement de main du gars, après un énième silence, y a de l’humain qui s’engouffre et ça en devient insupportable, insoutenable, invivable.

    Trop de pression.

    Je mets sur pause, rapproche la bouteille de rouge, vais pisser, roule une clope. Envie de savoir la fin et pas envie de savoir. Un peu comme quand t’es aux deux tiers d’un roman de Dumas et que tu regrettes déjà qu’il n’y ait plus que 200 pages à lire, vouloir tirer au maximum le plaisir de l’intrigue alors que tu sais que le dénouement dont tu ignores tout te foutra sur le cul.

    Pause. Reprendre pied. J’arrive pas à avoir le Seb au téléphone. Ca me bouffe trop ce film, faut que j’en parle. Coup de fil au Dadu, du coup, qui y a pas longtemps a changé son avatar sur le forum où on traîne et que son avatar c’est la gueule à Wiesler avec ses écouteurs. Même qu’au début, j’ai cru que c’était l’autre con de Moby. Je m’excite au téléphone, il se marre, repensant sans doute aux sentiments qu’il éprouvait à ce moment-là, en plein milieu du film, la converse part sur autre chose, Quatorze, forcément, la bière belge, les Yougos et puis Quatorze, forcément. Je lui demande sans lui demander avant de raccrocher si la fin sera aussi énormissime que la première heure et si Wiesler…

    Je ne dirai rien de la dernière heure et encore moins de la fin. Une vraie fin, comme dirait le Dadu. Parce que y a des films que tu aimes et dont la fin est un peu pourrie, mais comme t’as aimé le film, tu te dis que la fin c’est pas si important que ça. Mais si, en fait. Alors que là, putain, cette fin…

    Je repense au Seb et au Dadu, à notre virée à Craonne avec du saucisson, du gris de Toul et du rock’n’roll à fond dans la bagnole. Et c’était diablement chouette. Même si y a pas trop de rapport avec « la Vie des autres », putain de film. Une chronique qui ne parle pas beaucoup de ciné, en fait, mais peut-être que c’est là l’essentiel, des films qui te balancent comme ça des gros morceaux de vie à la tronche. Ca parle de bouquins, de pinard, de copains, de l’amour, de larmes, de la vie, bordel de merde. De la vie des autres. Et puis de la mienne.



    (OST : Acda en de Munnik - in de stad Amsterdam)

    mercredi, octobre 03, 2007

    l'ouverture, ça fait mal (surtout au début...)

    Un billet qui devait parler d'autre chose, pour une fois. Mais, ce matin, je lis ça.

    "Commentant les cent jours à la présidence de la République de Nicolas Sarkozy, Patrick Devedjian a déclaré : « Barbara aurait pu chanter : Quelque chose a changé »".

    Pied à pied. Face à face. Mot à mot. La guerre dans laquelle nous sommes plongé-e-s n'est, pour l'instant, qu'une guerre de mots. Pour l'instant. Pour inaudibles que soient nos réponses...

    Après Guy Môquet, après Louise Michel, après Antonio Gramsci, Barbara.

    Même plus la force d'en rire. Même pas envie de balancer la réplique culte d'Audiard sur les cons qui osent tout et que c'est même à ça qu'on les reconnait. Ca me rappelle la fois où le facho borgne était allé déposer un bouquet sur la tombe de Brassens pour saluer "un grand pourfendeur de la pensée unique".

    Putain, Barbara en ode à Sarko, bordel. Welcome in guedin's land. Le nid de coucous, à côté, c'est la petite maison dans la prairie.

    Y a des jours comme ça où un bon gros "nique ta mère" est la réponse la plus adaptée.




    Prochain-e-s mort-e-s sur la liste potentiellement récupérables : Louis Barthas, Auguste Blanqui, Pierre Bourdieu, Guy Debord (ah ouais, pas mal ça Debord, un petit truc bien placé sur le spectacle et la marchandise), Jean Genet, Michel Rocard (ah, non, pardon...), Simone Signoret, Boris Vian. On attend un ou deux ans avant de balancer Bakounine et/ou Marx. Parce que, hein, faut pas y aller trop fort au début.


    (OST : Barbara - la Solitude)

    lundi, octobre 01, 2007

    les miroirs d'Oaxaca

    (lettre écrite à l'intention d'une demoiselle croisée à l'occasion de quelques manifs, jamais pu lui remettre, si elle passe par ces pages...)



    Mademoiselle,

    L'actualité me rattrape en ce 10 décembre alors que je pensais commencer cette lettre autrement. Les miroirs d'Oaxaca s'effacent devant la grande nouvelle de la soirée : les disparu-e-s et les mort-e-s de Santiago rejoignent dans mon crâne ceux et celles qui luttent pour cette putain de terre mexicaine & ce foutu idéal de dignité, ils rejoignent vos yeux entraperçus lors de quelques manifs et ce débile espoir d'un monde (un peu) moins abject. Dieu est mort, l'Art est mort, Augusto Pinochet vient de crever, Ulises Ruiz is still alive.

    Oaxaca et ses miroirs, donc, puisque ce salopard de Ruiz vient d'être évoqué, Ruiz qui n'hésite pas à envoyer la troupe pour mater une révolte de 500000 personnes qui dure depuis plus de six mois, les hélicos de nuit qui balancent les lacrymos quand certain-e-s osent braver le couvre-feu, les blindés qui encerclent la ville pour forcer des barricades qu'une rage a construites, des escadrons de la mort qui tuent et enlèvent celles et ceux qui ont l'arrogance d'exiger l'impossible, l'intelligence et la liberté.

    Hélicos by night, pas de Wagner en fond sonore pour nous refaire le coup de l'Apocalypse, juste l'aveugle barbarie sous l'oeil de ces putains de projecteurs pour qui toute ombre est un-e supect-e et toute ruelle est crapuleuse.

    Et les miroirs. Au bout de trois nuits de survols incessants, la Commune libre d'Oaxaca a décidé, pour dérisoire que cela paraisse, de donner à quiconque se promènerait la nuit un miroir, un miroir d'un mètre carré à porter à bout de bras. Dérisoire qui rejoint le poétique et l'essentiel. Quand une simple lumière renvoyée est sublime. Une demi-douzaine d'appareils se crashent en quelques nuits sous l'effet de simples miroirs.

    Les hélicos ne survolent plus Oaxaca depuis déjà plusieurs semaines. Ici, on crève, on essaie tant mal que bien d'avoir quelques infos de là-bas, de savoir si la poésie des miroirs continue de mettre à mal la bête immonde, ici bientôt des élections, des banlieues qui crameront, quelques manifs sans intérêt, sans foi, sans passion, où j'espérerai vous croiser et retrouver vos yeux, miroir de mes miroirs.

    Bien à vous,


    nb (fuck the ps) : "Un salut et une fleur pour cette tendre fureur, je crois qu'elle les mérite..." sous-commandant Marcos


    (OST : Cheb Hasni - Choufi oumri)