mercredi, janvier 30, 2008

HODIE TIBI CRAS MIHI

Cette fois, c’est la bonne, tu l’as définitivement passée à gauche ta putain de baïonnette, après cent dix berges dans cette France dont tu ne devais plus comprendre grand-chose, à la fin. T’es parti retrouver tes copains tout là-haut, la grande tranchée sous les étoiles où subsiste encore le sens du sacrifice, de la camaraderie et de l’honneur.

Tu racontais pas trop, paraît-il. « La guerre, ceux qui la racontent, c’est ceux qui l’ont pas faite ». T’es parti l’avant-dernier, le dernier à avoir connu le Chemin des Dames, reste plus que le copain Lazare, l’émigré rital, et c’en sera fini pour de bon. Fini les témoins. Place à ceux qui racontent. A ceux qui ne pourront jamais dire puisqu’au delà de l’indicible, vous vécûtes l’impensable. Place aux embusqués de la mémoire et à ceux qui ont encore la rage de vouloir se souvenir. Se souvenir de vous, Anthelme ou Lazare l'illégal immigré, et que maudite soit la guerre, se souvenir de toi, Louis le devenu anar à la fin du massacre, et de tous ceux qui sont morts sans foi, sans plus même de visage, sans prénom.

Il paraît que, trop vieux, ton copain Lazare n’a pas encore réalisé qu’il était le dernier, le symbole qui restera à jamais, à l’image de l’autre, le grand Inconnu. Ni meilleurs ni pires que les autres, simples soldats au cœur de la boucherie. Dormez, morts héroïques, parfois ça vaut vraiment mieux.

Dors, vieux Lazare, dors, Louis te veille et t’attend, nous sommes quelques un-e-s encore à nous souvenir de vous, dors, puissé-je te réchauffer, au plus froid des hivers.




« Ils ont des cheveux blancs, des décorations, très souvent des bérets, et, sous ces bérets, des figures de brave homme comme on n’en fait plus. Tu fais apporter du vin rouge et tu prononces un mot magique, il y en a plusieurs. Tu dis "Verdun", ou bien "la Marne" ou "Foch", ou "Chemin des Dames" et ça part tout seul. L’Histoire qu’ils ont faite avec leur viande, ils sont encore quelques-uns pour la raconter. Seulement, faut se dégrouiller de les interviewer, parce qu’il commence à se faire tard pour eux. Tous les jours, on les déménage, les poilus. On les emmène faire du blé avec leur gueule cassée. C’est temps qu’ils s’en aillent de ce monde transformé, dans le fond. Verdun, ça n’impressionne plus personne. Un vieux héros, ça n’existe pas. »

San-Antonio, l’Histoire de France.









(le titre latin signifie -évidemment- : toi aujourd'hui, moi demain.
OST : Charles Trenet - Qu'est devenue la Madelon)

dimanche, janvier 27, 2008

extension du domaine de l'invariance

Aujourd'hui c'est dimanche et Ubi est content (1).

Le dimanche, c'est bien, c'est rituel, c'est de ces quelques trucs qui participent des certitudes éternelles (2).

Ca commence à 10 heures, invariablement, réveil qui explose généralement à la tronche et la sale gueule de bois de la veille, mal aux cheveux, vite café, l'ami Meyer va attaquer sur Inter.

Parce que, le dimanche, c'est avant tout la magie de la radio. La Sainte Trilogie de Radio France depuis que j'ai plus la télé et que j'ai arrêté Télé Foot (3).

La Prochaine fois je vous le chanterai, Panique au Mangin palace, Des Papous dans la tête.

Quand le service public oublie enfin de racoler la bassesse, l'inculture et le pouvoir en place.

Le Philippe Meyer, donc pour commencer (4). C'est à lui que je dois de ces merveilles oubliées qui illuminent ma discothèque. Le café vient de monter dans l'inox italien, je commence vaguement à me fringuer alors que les frères Jacques ou Leprest chantent dans le poste. Jean troué et sweat capuche, enfiler en vitesse la casquette, reprises d'à deux c'est mieux, la liste des courses est prête.

Le dimanche à Bamako, c'est le jour de mariage, qu'ils nous chantent les aveugles africains. Et Montreuil, c'est la deuxième plus grosse ville malienne au monde après Bamako. Et le dimanche à Montreuil, c'est le jour du marché. Et le marché de la Croix de Chav', c'est un des plus beaux marchés du monde (5).

Quand la France éternelle des ouvrières banlieues rouges rejoint la Méditerranée et pousse la porte de l'Afrique.

L'apéro chez Robert (6), un des derniers du réseau "bar rock" alternatif des glorieuses 80's, rade minable où sont venus jouer tous les pires, des Bérus aux Wampas en passant par l'ami Binamé, encore l'an dernier. La gueule de l'emploi, le Robert, qui s'accorde avec le formica et le Parisien qui traîne sur le zinc. Se poser en terrasse, déballer la charcut' ritale achetée un quart d'heure plus tôt, voisin-e-s qui louchent de l'oeil, offrir de la coppa, des olives et du jambon, verres qui trinquent et c'est parti pour les tournées (7), prendre le temps, vivre, tout simplement.

Le blanc de l'apéro commence à monter doucement à la tête, prendre le temps du retour, le sac lourd et sourire comme un con, les quatre étages sont durs aux mollets travaillés par le blanc, l'heure des Papous. La folie de l'Oulipo une fois par semaine, depuis que cette salope de Laure Adler a viré les quotidiens Décraqués (8). L'attente du Pouy et du Vallet, les rires d'intelligence qui viennnet deux secondes après le calembour que tu viens enfin de capter. Et si j'en connais certain-e-s dont le rêve ultime est d'écrire un jour dans le Canard du mercredi, le fantasme ultime, pour ma part, c'est de participer aux Papous. Nique sa mère l'Académie, le Panthéon et les rues ou les imapasses à mon nom, non, vraiment, y a que les Papous qui m'intéressent en guise de consécration.

Et ce dimanche, en plus, oh surprise, le Roger des Prés passe chez la Kriss. L'ancienne voix de FIP qui te balance des interviews de joyeux doux-dingues (9). En bon secrétaire du Conseil d'Administration que je suis, j'écoute, un peu bourré, bientôt la sieste, avec la joie d'entendre la voix familière du Roger sur Inter. Toujours aussi classieux et décadent. Salut à toi, camarade...

La demi carcasse de poulet traîne sur la table, le verre de vin n'est pas fini, pas le courage de foutre le fromage au frigo, ça sent la sieste, peut-être écrire un peu, se vautrer sur le pieu, le coup de fil d'un-e ami-e voulant venir bouffer ce soir qui me réveillera sans doute, j'écouterai la Panique du Philippe Mangin sur l'ordi, attendre le Masque et la plume en épluchant les patates et en préparant la sauce aux champis.

Un beau début de dimanche comme les autres (10).





(1) : ah, les VRP...

(2) : un peu comme les chansons de Sardou, les défaites du PSG et les talonnettes de l'autre con.

(3) : le plaisir de rater Pierre Cangioni et Stopyra, et Gilardi et Didier Drogba.

(4) : merci, miss K. !

(5) : ouh là, avec tout ça, il semble que pas mal de syllogismes soient possibles...

(6) : un mois que je l'ai pas vu, le Robert, pourvu qu'il ait pas lâché l'affaire...

(7) : tiens, encore ce matin, le Pedro au téléphone avait sa cops au téléf et me voyait bouffer mon jambon, il lui demande de se ramener pour l'apéro, hésitation quant à savoir qui va chercher le halouf, je me marre et lui envoie une tranche, ses yeux se plissent quand le cochon fond sur la langue, une heure hors du monde à deviser sur la bouffe et le temps qui passe... Sa chérie se ramène, olives et tomates séchées.

(8) : c'est bien la peine de faire une bio de la Duras, tiens...

(9) : catégorie dans laquelle le Roger se place plutôt bien.

(10) : pas mal pour un début, affirma...




  • la bande-son du dimanche à farfouiller, écouter et/ou podcaster
  • jeudi, janvier 24, 2008

    Puluis es et in puluerem reuerteris

    (Cool, chouette, on me demande encore un texte pour un mémoire... Z'êtes trop sympas, les z'ami-e-s !)



    Je m'obstine à ne pas vouloir faire la différence entre tag et graff, bien que je sache qu'elle existe. Je sais juste que mes vieux amis les Romains zonant à Pompéi ont laissé des graffiti, encore admirables aujourd'hui, grâce à la cendre.

    Hiver 2008, métro parisien. Depuis quelques semaines, les panneaux de pub sont joyeusement antisarkozystement repeints, quand bien même le mouvement antipub n'a pas l'ampleur de l'hiver 2003. Il n'empêche, "mur vierge : peuple muet".

    5 mètres sur 2, un miracle. Qui ne tiendra sûrement pas la nuit. Tout y est : le graff, le tag, et la signature. Equilibre parfait. La meuf ou le mec a dû bomber pendant dix minutes au maximum, au mépris et à l'arrach'. Fais ta pub, man, demain il n'en restera rien. Et moi qui ai la chance de passer devant toi, spectateur sans lequel tu serais condamné à graffer les murs de ta chambre ou de ta cellule puisqu'il paraît que tu détériores le matériel urbain. Renversement des codes, Debord n'est pas loin.

    L'éphémère, le hasard et la cendre lutteront toujours contre l'absurdité du péremptoire.

    Nous écrirons sur les murs tant que le peuple saura lire.










    (OST en attendant pour très vite la ouèbemiouzik inchala : NTM - Paris sous les bombes)

    mercredi, janvier 23, 2008

    finalement, si, des voeux...



    (somewhere dans les couloirs du métropolitain parisien qui est joyeusement graffité en ce moment)

    lundi, janvier 21, 2008

    no miouzik, tant pis...

    Parce que les mots sont suffisants et peuvent seuls parvenir à bouleverser...

    Ca sentait un peu l'effervescence, en cette fin d'aprème sur le quartier. Beaucoup de monde dehors, trop de monde, tous les petits groupes en pied de tour à parler et parler et encore parler. Pas une ambiance habituelle, on présume l'éventuelle grosse livraison pour ce soir.

    On remonte vers la gare, n'ayant pas réussi avec ma collègue à trouver une bonne porte d'entrée dans les discussions. Posage sur un banc le temps de la dernière clope. R. nous a suivis, il se pose lui aussi, s'allume une clope. Pas besoin d'être Lacan pour se dire que quelque chose va se jouer, là, dans l'intimité de trois personnes, la clope pour contenance, comme un prélude de solitude avant les mots.

    La discussion commence tranquillou puis il nous lâche : "Au fait, z'êtes pas au courant pour hier soir, la baston avec les Tchétchènes, 'fin les Russes quoi ?". Ben non, on n'est pas. On comprend qu'en fait les Russes sont des ouvriers du bâtiment qu'ont eu une embrouille avec un gars du quartier et qu'iceux sont descendus à trente vers 21 heures pour faire le coup de poing et de couteau. Que ça a été assez hardcore, semble-t-il. Pas de fanfaronnade, R. tient juste à nous tenir informés parce que ça peut servir dans le boulot qu'on fait avec les petits, si jamis ceux-ci posent des questions...

    Le plus naturellement du monde, la discussion suit son cours, aussi paisiblement que nos paquets se vident de leurs cigarettes.

    N. et T. rappliquent. Ils se posent à leur tour, poignées de mains, ça réattaque sur la baston d'hier alors qu'un très grand-frère cravaté vient sermonner les gusses : "Putain, ok, vous avez bien défendu le quartier, mais une fois, les gars, une fois, la prochaine, vous vous ferez baiser par surprise, on vous l'a toujours dit...".

    N. commence à tchatcher et à vanner, simplement, sans sa provoc habituelle. 20 berges, couvert de pustules et d'eczéma, on n'a jamais réussi à l'accrocher sur un truc quelconque. Ouaip', il deale et il nous emmerde, ouaip', il nous insulte et il s'en fout des quelques pseudos-éducs qu'ont jamais rien fait pour lui. Sauf que là, il a l'air d'avoir particulièrement envie de s'étendre, le N.

    Forcément, ça parle boulot, ça parle fric, ça parle école et formation et tous ces CAP plomberie qui ont été offerts pour seul avenir aux trois-quarts de ces gosses. Je parle de les accompagner je ne sais où pour essayer de faire semblant de croire qu'on va trouver une orientation professionnelle. N. et T. acquiescent, vaguement, déjà résignés.

    Et N. parle. Il parle de lui, serein, déterminé, définitif. "C'est pas du boulot qu'on veut, tu sais bien... On galère... On se mange les couilles par terre... On veut vivre, tout simplement... C'est de la vie qu'on veut."

    Le silence.

    Se dire que c'est merveilleux de pouvoir être bouleversé par un môme. Un môme de 20 ans, dealer et boutonneux. Et ce silence partagé, tous les yeux au loin, se demandant le sens de ce bas-monde de merde et celui de la vie.




    jeudi, janvier 17, 2008

    A L'AIDEUHHHH ! (work in progress)

    Cher-e-s ami-e-s,


    Je cherche un putain de moyen d'héberger des fuckin' mp3 ou une putain de radio sur ce crénom de blog.

    Il est patent que je suis une triple buse en informatique et qu'en plus je tourne sous Mac (OS X pour être précis).

    Si quelqu'un-e aurait donc la possibilité de me faire l'amabilité d'avoir la gentillesse de me balancer un tutorial aussi précis que possible, je lui en serai infiniment reconnaissant. Ad aeternam.


    Cimer d'avance les z'aminches !

    Ubi



    nb : pour la peine, ce billet restera en une jusqu'à ce que nous ayons réussi à trouver, na !









    (OST : Beatles - Help
    original, non ?)

    lundi, janvier 14, 2008

    c'est con, le bonheur...



    ...qu'il chantait, en substance, le Catalan.

    Et c'est surout super hard à (d)écrire.

    Enfiler les clichés, les yeux encore dans le flou, les mots qui ne viennent pas, la queue encore dressée, une semaine que je n'ai rien écrit, elle vient de partir.

    Ne rien dire, encore moins signifier.

    Et, tout au mieux, reprendre les mots de l'autre con. Avec elle, c'est du sérieux.

    Ne rien trouver d'autre à dire, alors que le vin et l'absence commencent à me plomber le crâne et que la vodka ne va pas tarder à me faire sombrer dans les ravages de l'oubli.

    Dis, quand reviendra-t-elle...

    jeudi, janvier 10, 2008

    interruption momentanée des services

    Du fait de l'animation d'un atelier "Hérésies en Seine-Saint-Denis" (style à base de po po po pop), le camarade Ubifaciunt se met quelques jours hors de la sphère virtuelle.

    Quelques veinard-e-s sont néanmoins invité-e-s à l'atelier pratique "Faut qu'ça danse, bordel !" de ce samedi 12 janvier.


    En vous remerciant...












    (OST : Paolo Conte - Genova per noi)

    lundi, janvier 07, 2008

    Dieu est mort, l'Art est mort, Beudeff est mort, Sarko va bien merci...

    On me demande (merci les potes !) de répondre à un sujet à la con pour une mémoire d'anthropologie. Et qu'attention la question c'est du haut niveau :

    "Que pensez-vous de l'art et des artistes ? Quelle représentation en avez-vous dans la société actuelle ? Quelle place leur acordez-vous dans votre vie personnelle ?"

    Vous avez deux heures...






    "Qualis artifex pereo !" qu’il aurait dit, le Néron, au moment de crever. Quel artiste meurt avec moi. C’est inévitable, dès qu’on veut parler de l’art et des artistes, tous les clichés y passent : l’incendie de Rome, Sénèque forcé à se taillader les veines, le meurtre d’Agrippine.

    Près de 2000 ans plus tard, l’Empire n’est guère plus avancé. Sa déliquescence n’a pas été encore mise à sac par les hordes barbares que nous sommes. On a vaguement compris, après Tacite, après Plaute, on a vaguement compris depuis Joyce, Beckett et Debord, depuis Flaubert au fond, sans doute, que l’illusion domine le monde et l’art en particulier, que tout est vain et ment avec obstination dans le vent, que ce cliché même que j’écris, nous le savons depuis Tacite, depuis Homère, depuis toujours.

    Nous ne sommes que des tuyaux. Nous recrachons, à notre manière. Les artistes peuvent crever. Ils sont déjà morts. Il ne s’agit plus de se considérer en tant qu’artiste mourant mais de tuer l’artiste en nous. Deuxième cliché. Surtout, ne pas s’engluer dans ces considérations aussi plates que la poitrine de Jane Birkin.

    Quelque part, là-bas, c’est comme un fantasme. Une île, déjà, c’est de l’ineffable, du possible et du rêve. Une île bretonne encore plus. Du mythe. Et un bar sur une île bretonne, forcément, y a des chances que tu rentres de plain-pied dans la légende et l’éthylique forcené. Et le bar est aussi consubstantiel à l’artiste (forcément maudit) que le HLM au politicien (forcément véreux).

    Rentrons dans le cliché, poussons la porte du troquet. Il est 18 heures, pas encore grand monde, ça pue le tabac froid et la bière renversée de la veille, aux murs les graffitis les plus improbables le disputent aux notifications de fermeture administrative des pandores locaux. Le patron n’est pas encore là ou alors vient-il d’arriver et te prend-il par la main pour t’expliquer les raisons de la première interdiction en 1976, le concert de soutien où deux mille personnes étaient venues, dont des artistes, des mêmes-pas-bretons qui avaient fait le trajet Larzac – Lorient puis qui avaient pris le bateau pour venir chanter en hommage à ce lieu incroyable. Et toutes les autres, celle de 1995, et celle, terrible, de début 2000, alors que cette saloperie d’Érika et les bénévoles venus se réchauffer le corps et l’âme tous les soirs, les mains encore noires et gluantes, et des litres de bière, le soir, pour (ne pas) oublier. Le drapeau breton à jamais maculé de pétrole qui trône près de l’arrêté de janvier 2000 ; ces gens venus de Bretagne, France, d’Euskadi, d’Irlande et d’ailleurs faisaient trop de bruit, le soir. Il fallut fermer six mois.

    Il raconte tout ça, le Beudeff, ou il le sous-entend. Il est 20 heures, les premiers clients viennent d’arriver pour l’apéro. La salle et vide. D’autorité, Beudeff les fait s’asseoir à côté de toi, « comme ça, au moins, tu auras parlé à quelqu’un et tu connaîtras des vrais gens d’ici la fin de la soirée ». Ca parle souvent de révolte et de résistance, ça brandit le poing plus souvent qu’à son tour ; et plus les verres se vident, plus l’on se croit artistes.

    Il est bientôt 22 heures, la salle est presque pleine, imperturbables les bières défilent, et les chansons commencent à être doucement fredonnées, des chansons de mer et d’espoir, des chansons qui sentent la poiscaille et les naufrages, des chansons anonymes, et d’autres, évidentes, puisque c’est sans doute à ça que se reconnaît le génie, Piaf et Brel qui ne sont jamais loin. Une guitare peut sortir, le son déchirant de l’accordéon peut alors monter, les "la la la" remplacent les couplets oubliés, Beudeff ramène des bières.

    Il est 2 heures, le bar va bientôt fermer, tout tourne au tour d’un truc à trois temps qui te fait valser comme un autiste, quand l’air seul te différencie de l’artiste. C’est l’heure des considérations qui se voudraient éternelles. La vie, la mort, tout ça, et les harangues aux étoiles. La dernière bière. Beudeff sourit, encore une fois, ferme la porte, lève une dernière fois le poing et repart dans la nuit à bord de son éternelle Deux-Chevaux grise.

    C’est l’heure où tous les clichés sont possibles, où tout prend sens dans la magie du monde, où Homère murmure à l’oreille, où Flaubert souffle avec le vent, où même Godard devient intelligible. C’est la bière de trop, pour la route, quand tout alcoolique se prend pour un artiste en suivant la route montrée par la Grande Ourse, quand lyrisme, espoir et nihilisme se conjuguent enfin. C’est l’heure des œuvres qui ne seront jamais écrites et des filles que l’on n’aura jamais. C’est l’heure de la nuit, de la nuit éternelle sur le monde et de la seule angoisse qui vaille, celle qui a tétanisé Homère et Édith. Celle de la dernière bière.

    J’apprends la semaine dernière que Beudeff vient d’y passer, qu’il a rejoint au fond du trou la fosse commune de mes souvenirs. Il n’aura pas supporté la fin de l’odeur du tabac froid des lendemains de cuite et aura préféré se laisser partir tranquillement ; ou ce goût âcre de fumée l’aura crevé d’un cancer à la con. J’aurais voulu que ce soit par une nuit de décembre, que le bar ferme une nouvelle fois vers les deux heures, qu’il se soit engueulé avec les pandores et qu’il parte dans sa Deuch’ grise, la nuit l’enveloppe, le crachin ou le vent, les phares disparaissent lentement au loin et se confondent avec les rares étoiles, qu’il jure encore en tendant le poing, qu’il rate un virage ; la Deuch’ fait une embardée et se fracasse sur du granit breton ou dans le grand Océan au bas de la falaise.

    Ici, Rome n’en finit pas de brûler.







    (OST : Jehan - Si tu me payes un verre)

    dimanche, janvier 06, 2008

    la Commune bande encore, crénom de Dieu !

    Une bien belle Zone d'Autonomie Temporaire, que c'était, hier soir.

    Le lendemain, 16 heures, j'ouvre la 8.6 rescapée du fond du sac pour retrouver un peu le goût de ces douze heures de folie.

    A la base, ça devait être une projection de la Commune de Watkins en version longue et un concert ensuite. Seulement voilà, j'avais déjà vu les 5 heures 45 watkinsiennes et je connais Droit Dans l'Mur par coeur. Moralité, je venais juste là pour les potes-se-s. D'autant plus que l'ami Dadu était de la partie, exilé de sa lointaine Lorraine, et que la Flo, le Jérôme et le Thib aussi, exilés de Paris pour Ménilmontant. Et les autres.

    Expo des gens de Regarde à vue, collectif montreuillois, tofs en noir et blanc de 2 mètres sur 1 collées à l'arrach sur les murs du squatt. Gênes, Londres (calling), Paris et l'éternel CPE, Berlin. Et ces gueules de gosses qui sont les mêmes tout ça...

    Arrivée des gens, peu à peu, on squatte dehors en buvant force bières, la barricade est construite en prévision du concert, un coup de fil du boulot m'apprend qu'un gosse qui s'était fait perquisitionner et embarquer chez lui par les stups a été relaché pour vice de procédure (ha ha ha, trop graves les keufs...), un coup de fil de Toulouse me confirme que je suis le plus heureux des hommes, et pour le reste, je laisse le Dadu raconter, le Dadu foutrement lucide bien que complètement cuit à 3 heures du mat' quand il écrit ces mots :

    "Entrée à la Miroit’, pénitence à genoux à mater des bouts de l’excellente et surréaliste mais utile La Commune de Watkins, et on se retrouve à boire des bières sous le néant de la pluie sur Paris. Classique. Mais j’en viens au gros morcif de la soirée. Droit Dans L’Mur.

    Tu sais, moi, les cuivres, même si la fille dont j’ai été amoureux fût un temps, mais marquante à vie, jusqu’à ce que je serai en maison de retraite stupide et inhumaine si mes enfants que je n'aurai jamais me la payent (exercice de conjugaison en vue…) est saxophoniste, moi, les fanfares, c’est pas mon truc. Comme eul’ ska, ça me cause moyen. T’vois, genre la bande de couniards relous qui croient qu’ils sont les Fils De Teuhpu en mieux (ça se peut assez tranquillement, remarque, sur la démarche au moins), bref, pas ma tasse de thé.

    Ah mais ouais, mais je ne serais pas sur le Mac d’Ubi (tandis que ce dernier dort scandaleusement) si je n’avais pas été enchanté de ma soirée.

    Bref, Droit Dans L’Mur assure la fanfare punk la plus spontanée que je connaisse et me file sous la plante des pieds des boutons bien chiants qui m’obligent à faire le skankeur comic super hero. Ajoute un peu à ça une reprise à vue de nez de Ludwig von 88 (parce que Ludwig, c’est inégalable), ajoute à ça ce genre de pogo que j’aime, collectif, donc bien, celui qui se demande qui est le voisin et prend le temps de sourire avec lui, ajoute à ça ce groupe qui se reprend lui-même à répétition sans scrupules, alors même que l’original n’est pas d’eux (aaaaah…. Carnivore… encore… encore… on ne s’en lasse pas, les images du clip en tête), un sacré putain de putain de bon moment redondant comme on en aimerait plus. Si les JT étaient redondants comme ça, on y reviendrait généreusement, ce qui, en l'état de la presse écrite ou télédiffusée française, hors certaines rares et peu diffusées rédactions -CQFD-, n'est pas ton cas, j'espère... Bref, un concert très humain, avec de touchantes et nécessaires approximations, un truc qui te cause au cœur, ce désir de faire du bien aux gens.

    Après, Droit Dans L’Mur sont de sales tricheurs : les cuivres. C'est pas de la soul, non, même si la soul et ses cuivres déchirent une quantité d'anus appréciable. Néanmoins, de près, dans une salle comme la Miroiterie, tu ne peux pas lutter avec la force du vent. Tu vois… quand tu dois éviter avec adresse les largesses matérielles du trombone tandis que des monceaux efficaces de gens en sueur te pogotent gentiment dans le dos, bah vient un temps où tu ressens physiquement la musique, du coup. Enfin, pour être plus exact, tu tentes de ne pas la recevoir en travers de ta gueule. Bon, bah ça, par exemple, c’est un concert, avec les guests qui s’improvisent tout seuls au micro ou ailleurs, en ayant conscience de l’aspect autant génial qu'éventuellement relou de la chose, n’empêche que c’est ça, un vrai concert (hommage au crétin outré qui avait tenté de chourer le clavier de la Bolchevita sur Refuse/Resist à la MJC Bazin à Nancy).

    Après viennent aussi les facteurs pas objectifs. Autant la Raïa m'a explosé à la gueule la plus belle et la plus touchante saxophoniste du monde, autant Droit Dans L’Mur m’a fleuri dans la tête la plus belle et la plus touchante tromboniste du monde, aux yeux sentant la noyade. Et j’aime spontanément tout musicien-ne qui, comme elle, ferment les yeux longtemps quand ils jouent, quand ils soufflent. Ils sont là pour toi comme pour eux. Et s’ils ne sont pas là pour eux, yeux clos, ils ne peuvent bien l’être pour toi. Et réciproquement, comme écrivait à foison l’ami Pierre D. Et en plus, elle gueule comme un vrai viking dont un copain me maintient que j’ai des gênes. J'dois avoir un truc interne que je m'explique pas avec les filles qui soufflent dans du cuivre et gueulent, dans les deux cas, comme des vikings...

    C’est une forme d’hommage à la con.

    Droit Dans L’Mur, du ska fanfare (avec de très très bons passages de chant au mégaphone fort punk juste comme j’aime) qui va bien. Ce n’est pas tant la musique que la démarche qui touche au cœur. Chapeau m’sieurs dames. C’était une gageure que de me faire suer sur ce style de zique.
    Je suppose, commentaires internes à l'appui, qu'ils se sont trouvé moyens... moi je dis qu'on s'en branle, y'avait d'la vie, bordel, et globalement, c'est ce qui compte. Merci pour tout !

    Sinon retour assez ivres à pied jusque Montreuil avec Ubi et Thibautcho, passage devant le Saint Sauveur, le bar assez inutile des gens de la secte, qui fête son anniv’ (bon bah ok…) et utilisation à outrance sur des affiches/murs non loin du feutre bien cool que Frads le Bon a oublié un jour à la maison à Nancy et qui ne quitte plus mon sac depuis. Ah bah tiens encore un hommage, hop… chants stériles de révoltes passées/actuelles dans la rue humide, paroles alcooliques, et arrivée à Montreuil, et pouf, moi devant ce clavier."


    Et une belle moisson de jolies tofs...



























    les tofs du Thib sont visibles par ici :
    http://thibautcho.free.fr/CCXVI/



    (OST : Riton la Manivelle - le Chant des ouvriers)

    jeudi, janvier 03, 2008

    Michon le père

    Ca doit commencer vers quinze ans, gosse d'une province banale qui rêve à l'Arthur, au Mythe, pas celui barré au Harrar ni monté à Pantruche, mais à l'Ardennais, le taiseux, le terreux, quatre ans de parole, puis le vent et le silence. Rimbaud, la révolte facile et la métaphysique adolescente, les virées à Charleville et les lectures boulimiques de tout ce qui, de près ou de loin...

    Pierre Michon, Rimbaud le fils. Cent dix pages bien tassées qui, à l'époque, me semblent obscures, étranges, rustres et flamboyantes, divines. Le moment où Il monte l'escalier pour se faire tirer le portrait par Carjat, la cravate qui penche, réussir à faire d'un cliché, il est bon que la cravate des poètes penche, faire d'un cliché de la poésie pure, la cravate penche éternellement.

    A few years later, Rimbaud m'a quelque peu passé, non les mots. Au milieu des six heures de grec hebdomadaires, professeur et disciples, élèves et maître, il offre à une des plus merveilleuses femmes au monde un exemplaire des Vies minuscules. Sans doute était-il aussi un peu amoureux d'elle, admiratif à tout le moins, il n'empêche, le cadeau, l'unique, ce fut Michon.

    De huit heures du soir à huit heures du mat', dans une guérite invivable de sueur, d'ennui et d'obligation salariée. Pendant deux mois, un des pires boulots de ma vie alors qu'Eugène et Clara crèvent de canicule et d'indifférence. Veilleur de semi-remorques, all nights long. Et qu'est-ce que je pourrais lire ce soir. Et tant et tant d'ennui. Et quelque chose de l'ordre d'une littéraire nuit pascalienne. La révélation et le miracle. Les Vies minuscules, celle d'Antoine Peluchet. Le silence et le vent. On n'a jamais mieux écrit le silence. Et encore le vent.

    Ce père sera le mien, la littérature est tout entière tenue dans cette nuit de la banlieue rémoise, je sors de la guérite, au milieu des semi-remorques j'aspire l'air à grandes goulées, le vent fait trembler les feuilles d'un étique arbuste, la nuit et les étoiles au-dessus de Bétheny doivent bien se marrer ; et encore du vent.

    mardi, janvier 01, 2008

    ni voeux ni maitre...

    “O quam inimica nobis sunt uota nostrorum !”
    Sénèque, à Lucilius, lettre 60

    Oh, comme les voeux des nôtres nous sont funestes... Pas de voeux, donc.

    Jamais.

    Des pensées, des tendresses, des révoltes.

    Et la simple assurance d'être là, d'être au monde, et de s'abandonner au risque, à la joie, à la rage.







    Ubifaciunt-et-ses-camarades-présentés-ci-dessous vous saluent.








    (OST : Wax Tailor - Sometimes)