dimanche, juillet 08, 2007

danse bordel !



Au fond d’une ruelle pas si évidente à trouver, nous approchons finalement le musée historique. Dur de mettre la main et le pied dessus, parce que les ruines romaines font tellement partie de la vie quotidienne ici, de la récupération architecturale que le moindre immeuble pourrait être un musée.

Le musée historique est tout ce que l’on attend d’une association d’érudits de la fin du XIXème siècle, dans un roman réaliste. Sauf que nous sommes au début du XXIème. Une femme d’âge mur lève les yeux, sertis de lunettes, vers nous. Elle parle français avec peine, mais semble prendre un grand plaisir à l’exercer. On sent en elle l’une de ces mécaniques rouillées qui grincent et geignent, mais avec d’autant plus de bonheur que la rouille chute et disparaît par ce mouvement. Heureuse aussi de voir des gens.

Le musée n’est pas chauffé. Il est assez grand, bien tenu, avec des tas de documents, plans comparatifs, photographies anciennes, indices cartographiques et humains et même géologiques qui satisfont ma névrose de maîtrise et de compréhension de mon environnement. La muséographie, comme on pérore dans notre pays avec prétention est un peu chaotique par moments, la chronologie respectée avec beaucoup d’entorses, qui ne sont pas compensées par une ordonnance thématique. Déstabilisant, mais heureux. On finit par se laisser transporter, passés les premiers croquis, par ce grand déambulatoire entre les chapelles historiques de la ville, on erre avec bonheur dans ce musée glacial, vide de tout visiteur, silencieux, mais craquant de partout.

En bas, nous retrouvons, en sortant, la femme d’âge mûr. Nous parlons un peu. « Nous aimons parler français, nous les érudits croates ou slaves. C’est important. C’est la faute de Voltaire et Rousseau… ».

Un homme est là. Il s’anime. Cheveux blancs, veste côtelée, marron, au velours élimé, déjà brillant. Dégarni, une belle couronne de cheveux blancs. Il s’anime et déclame plus qu’il ne parle. Un véritable dinosaure plaisant, universitaire à la retraite ou au placard ?

Non, ancien croupier à Las Vegas. Son français est hésitant mais théâtral et grandiloquent, et le voilà parti à nous narrer avec ferveur sa ville, Split, ses anecdotes, ses travers, ses drôleries et l’occupation de ces « connards de fascistes italiens qui n’ont même pas été foutu d’empêcher les soldats de saccager les ruines romaines ! ».

Ses vingt ans, il les a passés à Paris. A l’époque. A l’époque, nous disait-il, on dansait. On dansait partout à Paris, tous les soirs, dans la rue. Apprenant qu’Olivier et Marianne sont Parisiens, il leur jette, avec son accent slave grandiose : « on danse encore dans les rues de Paris ? ».

Comme ça. Olivier ne sait que dire. Marianne se tient coite.

« Parce que, enchaîne-t-il après un silence, hochant négativement la tête, de sa voix qui roule par boyaux et appendices pulmonaires, parce que, c’est ça qui manque aujourd’hui au monde. C’est des gens qui dansent. Regardez-nous, en Yougoslavie : on dansé ensemble si longtemps, ça a été la guerre parce que l’on a cessé de danser. C’est ça qui manque au monde. Dansez, sinon c’est la guerre. La guerre ou la danse, il n’y a pas d’autres choix. Ou on danse ou on crève, parce que la danse, c’est la poésie, et le monde, il lui faut une révolution qui danse et fait de la poésie sinon nous sommes tous morts. Allez danser dans les rues de Paris, ne faites pas attention à ce que disent les ignorants, dansez ! »

Au milieu des ruines romaines. Au milieu de Split. Il nous a dit ça.


(merci à Dadu pour le texte
OST : Idoli - Maljciki)

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