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C' qu'est bien avec la fête de l'Huma, c'est que, dès le départ, tu sais où tu mets les pieds. Les marchands du temple, les vieilles illusions qui refusent de mourir, les concerts sponsorisés par TF1, la schizophrénie totale. Un concentré d'incohérence(s).
Du coup, quitte à être tout aussi incohérent, je chosis Céline plutôt qu'Apollinaire pour lire le temps du trajet. La fumée de la banlieue de Rancy, et puis, celle bien réelle de Saint-Denis. Des crêteux à côté de moi dans le RER, des CGTistes avec la déguaine complète : pantalon en velours, chemise à carreaux, cravate lie-de-vin, collier de barbe et le baise-en-ville des grands jours -à défaut du Grand Soir- fièrement vissé à l'épaulette.
Le Bourget. Navette gratuite, une meuf un peu flippée que c'est sa première fête de l'Huma demande à la cantonnade dans le bus comment que ça va se passer, si y aura pas trop de danger de baston ou de débats enflammés qu'après tu te remets grave en cause tellement ils volent haut les débats. Je souris et l'excitation me gagne un peu. Putain, Iggy et les Stooges, quand même, à 22 heures. Il est à peine midi et la pression monte déjà. Les Stooooooooges.
Arrivée sur la fête, bordel des tentes sauvages, pas de fouille, coup de fil au Thib pour qu'il ramène une dizaine de litres de bière. Premier stand. Dassault, Renault F1 et EADS military. Pour du vrai. Tout le monde semble s'en foutre.
Très vite, je me rends compte que les trois big stars de cete fête de l'Huma 07 sont l'éternel Che, le chapeau vietnamien et Guy Môquet. Avec possibilité de panachage (un autocollant du Che sur un viet chapeau, par exemple). Et que les cocos ils ont pas trop aimé la récup sarkozystiquo-rugbystique du martyre de 17 ans. Sur ce coup-là, au moins, ils ont plutôt pas tort.
Premier apéro, un ricard au stand de Nanterre (pas mes rêves !). Puis un verre de savagnin dans le Doubs (abstiens-toi !). Puis une andouillete au chaource dans l'Aube. Puis des frites belges. Et du vin, un peu partout. Ca donne du camarade à tour de phrase, le mot le plus entendu n'est pas gauche, lutte, espoir ou communisme mais Sarkozy. Signe des temps. Il est 13 heures, je me dirige tranquillou vers la grande scène, la nuit a été courte pour certain-e-s qui réattaquent quand même au pastaga plutôt qu'au café. Allez, je me reprends un apéro pour la peine.
Retrouvailles avec des potos sur la colline. Les bières sont de sortie, on attend les Ogres. On trippe sur les hippies ("crève, hippie, crève !!!") et tout le cultissime épisode de South Park y repasse, des défoncés rigolards aux cercles de tappeurs. Cela dit, on essaie d'assumer notre envie de voir les Ogres. Schizophrénie bénie.
Comme des babos, on descend dès qu'on entend les premières notes, qu'en fait, non, c'est les derniers réglages son. Pause, ce qui permet à l'écran géant de balancer des pubs pour l'Humanité, of course, mais aussi pour Lagardère et toutes ses déclinaisons, of course aussi. A peine un grognement dans la foule. "Lagardère président !"
Set bien sympa de la smala barbackienne. Ca commence en douceur et finit dans le pogo et les sourires. Salut à toi, Roger des Prés...
Remontage pour aller chercher des bières et retrouvailles avec la So et ses potesses. Je me grille une clope aux clous de girofle qu'elle m'a ramenée exprès d'Indonésie, on se tape le relou bourré habituel qui tente de draguer et qu'est aussi pénible qu'une pub dudit Lagardère, les filles se motivent pour aller boire un thé à la menthe. Pouahhhh, du thé à la menthe pendant la fête de l'Huma. Pourquoi pas voter à droite, non plus ? Pourquoi (pas) voter, d'abord ??? J'ouvre ma 8-6.
On bouge avec les potos vers la scène avant-garde où qu'y aura la Rumeur tout à l'heure. On s'extasie devant chaque stand ("no tomo Coca-Cola, tomo el Che cola !!!") où, comme disait le môssieuh Goethe, "du sublime au ridicule il n'ya qu'un pas". Une hideuse peinture représente Diam's la boulette au dessus de calicots Ricard sur un manège pour gosses. Le grand débat de la gôôôche où on entend vite fait Hollande puis la Marie-Georges qui appelle à la Révolution totale pour mardi soir. Mais ptêt qu'on a mal compris.
Divers potes de croisés, c' qu'est bien avec la fête de l'Huma, c'est que c'est comme la manif du 1er mai, ça fait longtemps que t'as pas vu des gens et t'es sûr des les y retrouver. Les mondanités militantes, en somme.
Entre temps, le Che est à toutes les sauces, t-shirts, briquets, cendriers, cola, sacs plastiques, drapeaux ; j'ai pas vu de rouleaux de PQ mais j'ai sans doute mal fouillé.
On s'extasie aussi devant le stand du parti communiste chinois ; mais je préfère pas trop en parler pour pas cautionner cet atroce déni d'humanité, au sens propre.
Quelques bières plus tard que nous v'là devant la scène avant-garde. Coup de fil de la miss Nothing, ça sent le faux-plan alors qu'on aurait dû passer la nuit ensemble. Pour des raisons indépendantes de notre volonté. Pour changer...
Un des pires concerts de ma vie, un mec ridicule joue de la merde pendant une heure. Atroce. On sait pas trop pourquoi on reste mais c'est sûrement pour la joyeuse propension à critiquer, alors là, on va grave pas se gêner. Tout ce qui ne tue pas rend plus fort. Le ridicule ne tue pas. Donc le ridicule rend plus fort, selon l'axiome zabossien qu'il a piqué à je ne sais qui. Ce "chanteur" en est la preuve.
Je vais reboire du savagnin, pour la peine, et m'envoie une tartine au maroilles avec des frites. Set un peu relou d'un groupe de hip-hop israélo-palestinien. Comme quoi l'enfer est pavé de bonnes intentions, si louables soient-elles. Et que ça fait pas forcément du bon son.
Une bouteille de fitou plus tard, le murmure gronde à l'approche de la Rumeur (quelle figure de style !!!). Petite joute avec des stals qui chantent "la Varsovienne" et que je beugle plus fort "a las barricadas". L'accordéoniste se marre et met tout le monde d'accord avec l'Internationale et les Hurlements de Léo. Du coup, pour changer, on boit un coup.
Et la Rumeur. La claque. Son à proprement parler monstrueux, public en fusion. on voit que les gusses de la Rumeur hallucinent et prennent un pied d'enfer. Et que nous aussi. Du coup, ça échange, ça vibre, ça envoie du très lourd. Une heure et demie de bonheur, d'oubli du monde alentour et se dire que vraiment, mais vraiment, la France c'est vraiment le pays du hip-hop. Et que y aurait eu guère qu'un NTM au sommet de son art qu'aurait pu envoyer un son aussi furieux. Et que c'est même pas sûr...
On se speede pour pas rater le début des Stooges. Mini-manif de droite à cinq dans les avenues du parc du Bourget. Les gens captent pas la haute portée de notre message contre-révolutionnaire et regardent comme des benêts. "Les syndicats sont nos amis, jamais, jamais, ils ne nous ont trahis".
Horreur, le set des Stooges a commencé depuis apparemment dix bonnes minutes quand nous arrivons. Foule hallucinante ; on se demande comment on va rejoindre le coeur de la mêlée, tiens, coucou la So, on speede pour descendre pour aller pogoter.
Devant, c'est l'enfer. Vraiment. 1969. Et du grand rock'n'roll. Iggy est au top. Les pieds de micros volent, la sécu est débordée, je perds vite tous les potes dans le flux sauvage qui suinte des enceintes et fait hurler La Courneuve. Se dire que ça devait être ça à Detroit en 70, à Liverpool en 77, dans toutes les caves où des boutonneux essaient d'essayer Led Zep et les Pixies. Putain de rock. Putain de public. Putain d'Iggy. La rage, l'exutoire, la frénésie, la sauvagerie. Brute et primale. Ca ne pouvait être que ça. La joie de la violence. Je paume mon appareil photo et mon chapeau dans la bataille, pas grave, j'ai sauvé mes lunettes. Une demi-heure au coeur du grand delbor et un peu de paix (quoi que...) vingt mètres à l'arrière. Now I wanna be your dog. Je ne sais pas à combien sont les amplis. Je ne sais pas combien nous sommes à être des chiens sur ces quatre minutes trente de fureur pendant lesquelles l'Iguane se vautre devant un gonzesse qu'il a fait monter on stage. Ca bouge, ça pousse, ça fracasse, ça rit, ça rock dans tous les sens.
Trois quart d'heure de show. Pas plus. Font chier. Se font vieux les Stooges. Ils ont pris autant de bouteille que nous on en a bu dans la journée. Putain, on était prêts à aller au bout du bout de la nuit banlieusarde.
Message sur le répondeur. La miss Nothing n'est pas venue, ne viendra pas. Je le savais. Rentrer seul, pour changer, dans la nuit.
Rentrer. Et se dire que même si, en dépit de tout, voilà quoi, la schizophrénie et les marchands d'armes, quand on y réfléchit bien, "l'humanité", ça reste quand même un des plus beaux mots du monde. Nonobstant.
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I WANNA BE YOUR DOG
Samedi soir, c’est pas la fièvre ici, j’arrive, tout est calme dans l’immeuble. Allume l’ordi, répond au mail de presquounette, "bon week-end, je t’embrasse, g."
Allume la radio, des fois que
oula ! Gros son. Encore un groupe de jeunes qui veut refaire le monde, c’est lourd, saturé, chanteur énervé.
J’en étais justement à ressasser mes vieux cantiques "qu’est-ce que je m’emmerde avec les gens de mon âge" (mais à quoi bon) "et leur 4 x 4 de beaufs" (mais je ne les fréquente pas).
Pas mal ce chanteur (pour un jeune) et la guitare derrière en distorsion non stop (mais attends, on dirait qu’il sait jouer ? et vachement bien…) Fin du morceau. C’est un concert. Clameurs de foule. Le chanteur "We are the Stoo-geees !" QUOI ? évidemment pauv’ pomme, c’est la Fête de l’Huma, c’est du direct, c’est The Stooges ! Et Iggy.
Pour un groupe de jeunes, tu repasseras.
J’arrête tout (impossible de faire autre chose), monte le son "I FEEL ALLRITE" répété quatre fois en aboyant sur guitare hypnotique trois accords, c’est animal, psychiatrique, brut, les morceaux s’enchaînent sans aucun temps mort. Iggy l’iguane, possédé, fait une présentation des musiciens (comme si c’était nécessaire) complètement viandée "On fucking drums : Scott Asheton" et enchaîne "1969" tempo lourd, "aouw ! ahou" ambiance de chenil ahou chiens jaunes et d’ailleurs "I wanna be your dog."
Je décroche deux secondes Est ce que le Préz qui veut plaire à tous les français a une vague idée de ce que produisent les communistes, 80 000 jeunes quand même, mais "Fuck !" Remonte le son. Iggy dans l’invective, sur les gens en place au pouvoir "FUCK" (beaucoup de "fucking fuck") ça devient effrayant, je n’ai jamais entendu une telle FOLIE, "raw power", tout est HURLÉ (mais juste) rythmique plombée, camisole de force harde de sangliers excités enfermez-les "I AM YOU I AM YOU –I AM YOU !" pour finir un morceau (pas reconnu, c’est trop sauvage centrifugeuse hachoir) et la batterie derrière, discrète, 1-2-3-4 vlan c’est reparti vaudou clinique "abject minds ! ABJECT MINDS" (répétés une douzaine de fois) et le plus invraisemblable est que c’est de la musique, au quart de millimètre.
Vous ne pouvez pas comprendre. Ou alors vous y étiez.
A 23 heures pile poil, dernier morceau d’apocalypse. Tétanisé devant ma petite radio, j’imagine Iggy sur scène (même costume depuis 38 ans, jean et torse nu) sauter sur les amplis, dans la foule, se ligoter avec le fil du micro, ce qu’il fait toujours. 37 ans que ça dure.
http://lesecritsbouillis.hautetfort.com/
(merci au grand Thib pour la tof ; d'ailleurs, ça y est, il a enfin actualisé son site, c'est dans les liens à droite, sinon, pour les fainéant-e-s, c'est par là : http://thibautcho.free.fr/
merci à l'ami Hell pour le deuxième texte, le lien aussi à droite, et juste au dessus pour les toujours fainénant-e-s.
OST : Chanson plus bifluorée - l'Internationale)