jeudi, septembre 13, 2007

sweet Lorraine

(Concours de nouvelles, y a quéqu'z'années, alors que je vivais dans une des plus belles régions of the world. Thème imposé : "une nuit à Nancy". J'avais gagné, yeahhhh, ce qui ne me rapporta of course absolument rien...)



Il avait fallu la mort du Vieux pour qu’elle se décide enfin. L’enterrement, tout ce qu’il y a de plus classe, drapeaux de l’Amicale des Anciens Combattants, curé qui tape dans les mains pour accompagner la sortie du cercueil au son de Nat King Cole. Le Vieux avait toujours aimé sa voix de velours, ça lui rappelait ses jeunes années, là-bas, en Europe, quand il s’était résigné à s’engager pour sortir de taule, purger sa peine, et accessoirement buter du nazi. Alors, forcément, quand il connut la Madeleine, là-bas, en Europe, ce foutu 15 septembre 1944, au soir de la libération de Nancy, il l’avait emballée sur Sweet Lorraine, putain de chanson sortie à peine un an plus tôt et ça lui rappelait sa terre, Memphis Tennessee. Alors forcément, quand il a ramené la Madeleine au pays, quand ils s’aperçurent qu’allait naître une gamine conçue au pays des mirabelles, ils n’hésitèrent pas longtemps avant de l’appeler Nancy, hommage à Nat-voix-de-velours-King Cole, à la Madeleine et à son bled, aux copains crevés là-bas et à ce vieux pick-up qu’il avait ramené, ce pick-up d’un seul disque.

Elle s’en était toujours foutue de tout ça, et quand le Vieux la bassinait, elle l’envoyait irrémédiablement chier, lui et ses histoires, elle et son histoire. Mais là, fatalement, c’était plus pareil. Le Vieux était mort avec ses secrets et elle se décida enfin à le faire, ce foutu pèlerinage, cette quête initiatique et ce retour aux sources, d’aller là-bas, dans cette ville qui lui avait donné son nom. Nat King Cole continuait à chanter, la Madeleine était barrée depuis longtemps et le Vieux venait de crever.

Nancy, ça lui disait rien. Seulement une tâche sur la vieille carte de France accrochée dans le salon, un peu à droite, là où le papier avait jauni à force d’avoir été touché. La France non plus ça lui disait rien, pas plus que l’Europe ou l’Arkansas pourtant tout proche. A peine si elle était déjà allée à Florence et à Athens, ces deux patelins paumés au fond du Tennessee, pour voir ce maudit bluesman qu’elle avait dans les tripes, et qui la faisait chialer avec ses fuckin’ riffs, qu’avait sûrement vendu son âme au Diable pour pouvoir te faire le Rio Grande, la corne de l’Afrique et les docks du Havre rien qu’avec ses six cordes. Jusqu’à la mort du Vieux, ça lui avait suffi. Mais là, c’était plus pareil et elle ferma la porte ce 21 septembre 2003, un peu plus de cinquante-neuf ans plus tard.

Rien à dire sur l’avion, rien à dire sur Paris ; elle se galéra un peu pour trouver le bon train, le 1705 départ 16 heures 17, arrivée là-bas 19 heures 27, elle avait pas encore pensé au retour, 35 euros 30, ça faisait à peu près pareil en dollars. Elle savait pas encore où elle allait dormir, elle parlait pas un mot de français, elle n’avait rien capté à la vanne du contrôleur qui lui avait dit « Vous allez à Nancy, mam’zelle Nancy ? Et ben, heureusement que vous allez pas à Carcassonne, mam’zelle… » Tout le monde s’était marré ; Nancy, ici Nancy, cinq minutes d’arrêt. Elle avait d’abord cru qu’on lui parlait, et puis finalement non, elle était arrivée.

Elle s’acheta un plan de la ville au relais de la gare, ça lui rappela le Vieux : Libération, armée Patton, la IIIème pensa-t-elle, Stalingrad, fuck, nope, Stanislas. Des flics partout dès qu’elle avait posé le pied dehors, un peu comme pendant les émeutes à L.A. après Rodney King. Elle décida d’aller voir les rues de l’Armée Patton et de la Libération, c’était pas trop loin. Rien à voir, deux rues banalement banales, même pas une plaque ou une statue pour évoquer je ne sais quel souvenir. Ptêt’ qu’elle s’attendait à trouver dans cette ville semblable à toutes les autres mais qui portait son nom, et plus particulièrement dans ces rues, une explication à sa vie banale et à la mort du Vieux, mais tu parles, ça ne servait foutrement à rien. Pour la première fois de sa poor life, elle avait agi, comme ça, par instinct, sans réfléchir. Elle savait pas trop où elle allait maintenant, le soir tombait, toujours des flics, vieilles baraques et ruelles qui la changeaient de Memphis Tennessee, à part la tour ridicule à son arrivée, près de la gare, et encore des flics.

Une longue rue en descente, au loin lumières et sirènes. Elle mata son plan, place Stalingrad, fuck, nope, Sta-machin. Drapeaux noirs, accordéon, cannettes de bières jonchant le pavé, un saxophoniste sous la grosse statue, des slogans, et cette bien jolie place, quéqu’ chose d’inconcevable en Amérique, une place vide, immense, intime. Elle se rapprocha du mec au saxo, les gyrophares des bagnoles et des cars de police bleuissaient l’ocre de la place. C’me on guy, do you know Nat King Cole ?… Tout est à nous, rien n’est à eux, tout ce qu’ils ont, ils l’ont volé… Euh, yes miss, a little… Police nationale, milice du Capital… Fantastic ! play please… Pétain, reviens ! t’as oublié tes chiens… Euh, yes miss, ça s’appelle Quizas, quizas, quizas… Police partout, justice nulle part… What happens here ? Is this war ?… Partage des richesses ou alors ça va péter… No miss, against french government, but let me play please… Ça va péter… Quizas, quizas, quizas…

La charge des CRS après les lacrymos, des cris, des courses, la brume qui fait pleurer tombe sur cette foutue place, le mec au saxo et Nancy n’ont rien vu venir, les matraques et les chiens, les quelques anars ne voulant pas reculer qui ont sorti les flingues, les grenades qui commencent à voler sur cette putain de place, ces putains de flics qui tirent. Nancy est à terre, elle s’en fout, elle pense au Vieux, à Nat-voix-de-velours-King Cole, à ses potes tombés pour une putain de remise de peine, à ceux qui sont pas revenus, à elle qui reviendra pas, couchée sur le pavé de cette putain de place, y a pas de raisons pour que les flics s’arrêtent de tirer, elle peut plus bouger, ça crame autour d’elle, allez les gars, tenez bon, ça pue la peur, ça pue la mort, ça pue la merde, les flics tirent dans le tas, elle va y passer. Sweet Lorraine.


(OST : Nat-voix-de-velours-King Cole - Quizas quizas quizas)

8 commentaires:

Dadu Jones a dit…

Je sais, je sais...

Anonyme a dit…

hmmmm jolie nouvelle qui fait partir loinn loin...

ubifaciunt a dit…

@ dadu : de toute façon tu sais toujours tout mieux que tout le monde. (quoi tu sais au fait ?)

@ grandk : en même temps, c'est à même pas 300 bornes de la câpitâle de la France...

Anonyme a dit…

bonjour, je fouille un chouïa.

C'est bien cette nouvelle, l'idée, le fil, découpage, l'idée du voyage en arrière, et la balance entre les deux bleds, ouest / est.

Détail : la mirabelle, c'est plutôt vers Metz, le top c'est Pagny-sur-Moselle (là, je chipote).

Et : un peu long / perte de temps dans le sens où les "fuck", mots "djeuns" et digressions en détails qui diluent un peu le fil.
De ce fait ça perd en densité -que tu as pourtant dès le départ, parce-que que le sujet est canon. Si je dis ça c'est que tu es riche en crédibilité (noms des rues etc.) c'est vraiment ancré. Mais les fucks, le côté "littéraure rock'" superficielle, non.
En plus concentré, l'intrigue pourrait être du Echenoz. (et c'est un compliment:=)

Anonyme a dit…

J' aurais pu dire un "fucking compliment", mais je laisse à Iggy.

ubifaciunt a dit…

ouh là, attention, si ça commence à débattre sur la mirabelle, on n'a pas fini...
(et la vosgienne, hein la vosgienne, la meilleure pour le tord-boyaux à 50°C ?)

sinon, ben truc d'y a cinq ans que je ne réecrirai bien sûr pas pareil aujourd'hui, mais je crois me souvenir qu'il y avait un nombre de mots imposés (d'où les fuck répétés;-))

et j'ai jamais lu Echenoz... oups c'est mal... tu me conseilles lequel ?

Anonyme a dit…

C'est même TRÈS mal.

Comme tu as dit être pauvrement friqué, je te dirais regarde d'abord dans les versions poche des Ed. de Minuit (me rappelle plus le nomde la collec).

Sinon, indice, quand Echenoz est arrivé en face de Jérôme Lindon le lendemain (!) d'avoir envoyé son premier manuscrit "Le méridien de Greenwich" celui-ci lui dit : "Vous avez lu "Les gommes"! (de Robbe-Grillet, auteur maison).
Est-ce que ça te parle ?
Je crois que ça devrait te plaire.
Sinon, essaie "Au piano" puisque tu t'intéresses à la musique. Sinon "Un an" et la suite "Je reviens".

ubifaciunt a dit…

merci, c'est noté (et bientôt acheté) tout comme pour le Kat Onoma !