lundi, février 04, 2008

"Les royaumes sans la justice ne sont que des entreprises de brigandage" (1)




cher N,

J'aimerais bien que "tout homme soit présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable" (2). Bizarrement ça ne semble marcher qu'avec les ministres en exercice et les patrons de banque. Pas avec les gosses de banlieue, qui plus est arabes, boutonneux, et à capuche.

Je me souviens d'il y a deux semaines, de cette belle après-midi d'hiver parigote où nous devisâmes de tout et de rien, des filles qui passent dans le soleil couchant sur le pont Mirabeau, de cette virée aux musée des arts premiers, de ton envie d'apprendre, tout simplement, pour "comprendre le monde".

Toi et tes vingt ans de sous-France et d'espoir, et ces quelques moments où l'on se trouve, deux hommes au plus près de leur vérité, silences, regards, aveux. Ton réveil à 8 heures du mat' juste pour faire un CV, alors que nous savions tous deux que là ne sera jamais l'essentiel, juste donner le change : oui, Ubi, je veux bien, allons-y, mais sois là.

Le soir où j'apprends que les keufs sont venus te serrer, perquis' à domicile, tous les portables de la famille confisqués, sur écoute, suspicion de stups et d'armes. Sans doute la police nationale de France pensait-elle trouver sous ton plumard ou dans la carte sim du téléphone de ta mère 10 kilos de shit et 35 lance-roquettes.

Tous ces gosses de quartier qui viennent me voir, me disent "qu'il parait qu'on a passé une bonne journée ensemble" et qu'il faudrait que je te file un coup de main.

Ta mère qui chiale entre mes bras, ta mère dont la mère va mourir au pays et qui ne part pas encore la veiller, dans l'attente du résultat de ton procès.

Ce procès où je fus évidemment, cette aprème, immonde mascarade, et la société est foutrement bien faite puisqu'elle a foutu des uniformes et des robes noires aux connard-e-s pour qu'on les puisse les reconnaître.

La juge qui m'appelle à la barre, cette juge qui déclarait à peine cinq minutes plus tôt que tes parents auraient mieux fait de te "renvoyer en Algérie ce qui serait pas plus mal, vu votre dossier"...(3). Quelle jolie réponse, "renvoyer", à supposer que tu y sois déjà allé et que tu en sois revenu, de ce pays qui n'a jamais été le tien, bikoz "tu représentes pas assez la France du passé..." (5).

Inutile de s'attarder sur le verdict, pseudo-débat vermoulu depuis le début, lâche rien camarade, la pile de bouquins attend mon permis de visite qu'un quelconque juge bedonnant voudra bien m'éventuellement signer après son rot de repas bien arrosé, le grand Louis tout en haut de la pile...

"Pour toucher, pour voler un peu de vérité humaine, il faut approcher la rue. L'homme se fait par l'homme. Il faut plonger avec les hommes de la peine, dans la peine, dans la boue fétide de leur condition pour émerger ensuite bien vivant, bien lourd de détresse, de dégoût, de misère et de joie. Avec les hommes de la peine, il faut vivre dans le coude à coude. Mêler aux leurs sa sueur, les suivre dans leurs manifestations grandioses et bêtes. Parler leur langue. Toucher leurs plaies des cinq doigts, boire à leurs verres, pleurer leurs larmes, faire gémir leurs femmes, partager leurs pauvres espoirs et leurs petits bonheurs." (6)








(1) : Saint Augustin

(2) : 1789, tout ça...

(3) : "La justice nique sa mère
Le dernier juge que j'ai vu
Avait plus de vice
Que le dealer de ma rue" (4)

(4) : Cut Killer, évidemment

(5) : NTM, cette fois, évidemment

(6) : Louis Calaferte, Requiem des innocents








(OST : NTM - That's my people)

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