Cette fois, c’est la bonne, tu l’as définitivement passée à gauche ta putain de baïonnette, après cent dix berges dans cette France dont tu ne devais plus comprendre grand-chose, à la fin. T’es parti retrouver tes copains tout là-haut, la grande tranchée sous les étoiles où subsiste encore le sens du sacrifice, de la camaraderie et de l’honneur.
Tu racontais pas trop, paraît-il. « La guerre, ceux qui la racontent, c’est ceux qui l’ont pas faite ». T’es parti l’avant-dernier, le dernier à avoir connu le Chemin des Dames, reste plus que le copain Lazare, l’émigré rital, et c’en sera fini pour de bon. Fini les témoins. Place à ceux qui racontent. A ceux qui ne pourront jamais dire puisqu’au delà de l’indicible, vous vécûtes l’impensable. Place aux embusqués de la mémoire et à ceux qui ont encore la rage de vouloir se souvenir. Se souvenir de vous, Anthelme ou Lazare l'illégal immigré, et que maudite soit la guerre, se souvenir de toi, Louis le devenu anar à la fin du massacre, et de tous ceux qui sont morts sans foi, sans plus même de visage, sans prénom.
Il paraît que, trop vieux, ton copain Lazare n’a pas encore réalisé qu’il était le dernier, le symbole qui restera à jamais, à l’image de l’autre, le grand Inconnu. Ni meilleurs ni pires que les autres, simples soldats au cœur de la boucherie. Dormez, morts héroïques, parfois ça vaut vraiment mieux.
Dors, vieux Lazare, dors, Louis te veille et t’attend, nous sommes quelques un-e-s encore à nous souvenir de vous, dors, puissé-je te réchauffer, au plus froid des hivers.
« Ils ont des cheveux blancs, des décorations, très souvent des bérets, et, sous ces bérets, des figures de brave homme comme on n’en fait plus. Tu fais apporter du vin rouge et tu prononces un mot magique, il y en a plusieurs. Tu dis "Verdun", ou bien "la Marne" ou "Foch", ou "Chemin des Dames" et ça part tout seul. L’Histoire qu’ils ont faite avec leur viande, ils sont encore quelques-uns pour la raconter. Seulement, faut se dégrouiller de les interviewer, parce qu’il commence à se faire tard pour eux. Tous les jours, on les déménage, les poilus. On les emmène faire du blé avec leur gueule cassée. C’est temps qu’ils s’en aillent de ce monde transformé, dans le fond. Verdun, ça n’impressionne plus personne. Un vieux héros, ça n’existe pas. »
San-Antonio, l’Histoire de France.
(le titre latin signifie -évidemment- : toi aujourd'hui, moi demain.
OST : Charles Trenet - Qu'est devenue la Madelon)
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
5 commentaires:
salut l'Ubi
heureux de voir que j'ai pas été seul à remarquer le petit encadré de trois lignes qui annonçait la nouvelle dans le journal y'a deux semaines...
bien aussi le petit passage du san-antonio
Tiens d'ailleurs j'ai retrouvé un truc qui devrait te plaire (la preuve ici bientôt...)
Louis Botti , cité p. 95 par Jean Norton-Cru
« Je me suis promis de l’avouer, d’infliger cette mortification à mon orgueil : l’annonce de l’alerte m’a serré l’estomac ; les battements de mon cœur se sont tellement activés que je craignais indiciblement que mes camarades ne les entendent. L’incertitude de ce qui allait se passer me poignait tout entier et soudainement, moi qui ne pratique pas, je me sentis repris par la foi de mon enfance. J’avais le besoin de me protéger, c’est veule, plus peut-être même […]. Ainsi se débattent ceux qui se noient. […] J’avais le plus grand besoin d’une excuse envers moi-même et je me redisais en m’équipant que seuls les jean-foutre se vantaient de n’avoir jamais eu peur. »
Avec les Zouaves, pp. 47-48
nique sa mère les jean-foutre ! (joli texte)
Hello. And Bye.
Enregistrer un commentaire