lundi, janvier 21, 2008

no miouzik, tant pis...

Parce que les mots sont suffisants et peuvent seuls parvenir à bouleverser...

Ca sentait un peu l'effervescence, en cette fin d'aprème sur le quartier. Beaucoup de monde dehors, trop de monde, tous les petits groupes en pied de tour à parler et parler et encore parler. Pas une ambiance habituelle, on présume l'éventuelle grosse livraison pour ce soir.

On remonte vers la gare, n'ayant pas réussi avec ma collègue à trouver une bonne porte d'entrée dans les discussions. Posage sur un banc le temps de la dernière clope. R. nous a suivis, il se pose lui aussi, s'allume une clope. Pas besoin d'être Lacan pour se dire que quelque chose va se jouer, là, dans l'intimité de trois personnes, la clope pour contenance, comme un prélude de solitude avant les mots.

La discussion commence tranquillou puis il nous lâche : "Au fait, z'êtes pas au courant pour hier soir, la baston avec les Tchétchènes, 'fin les Russes quoi ?". Ben non, on n'est pas. On comprend qu'en fait les Russes sont des ouvriers du bâtiment qu'ont eu une embrouille avec un gars du quartier et qu'iceux sont descendus à trente vers 21 heures pour faire le coup de poing et de couteau. Que ça a été assez hardcore, semble-t-il. Pas de fanfaronnade, R. tient juste à nous tenir informés parce que ça peut servir dans le boulot qu'on fait avec les petits, si jamis ceux-ci posent des questions...

Le plus naturellement du monde, la discussion suit son cours, aussi paisiblement que nos paquets se vident de leurs cigarettes.

N. et T. rappliquent. Ils se posent à leur tour, poignées de mains, ça réattaque sur la baston d'hier alors qu'un très grand-frère cravaté vient sermonner les gusses : "Putain, ok, vous avez bien défendu le quartier, mais une fois, les gars, une fois, la prochaine, vous vous ferez baiser par surprise, on vous l'a toujours dit...".

N. commence à tchatcher et à vanner, simplement, sans sa provoc habituelle. 20 berges, couvert de pustules et d'eczéma, on n'a jamais réussi à l'accrocher sur un truc quelconque. Ouaip', il deale et il nous emmerde, ouaip', il nous insulte et il s'en fout des quelques pseudos-éducs qu'ont jamais rien fait pour lui. Sauf que là, il a l'air d'avoir particulièrement envie de s'étendre, le N.

Forcément, ça parle boulot, ça parle fric, ça parle école et formation et tous ces CAP plomberie qui ont été offerts pour seul avenir aux trois-quarts de ces gosses. Je parle de les accompagner je ne sais où pour essayer de faire semblant de croire qu'on va trouver une orientation professionnelle. N. et T. acquiescent, vaguement, déjà résignés.

Et N. parle. Il parle de lui, serein, déterminé, définitif. "C'est pas du boulot qu'on veut, tu sais bien... On galère... On se mange les couilles par terre... On veut vivre, tout simplement... C'est de la vie qu'on veut."

Le silence.

Se dire que c'est merveilleux de pouvoir être bouleversé par un môme. Un môme de 20 ans, dealer et boutonneux. Et ce silence partagé, tous les yeux au loin, se demandant le sens de ce bas-monde de merde et celui de la vie.




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