samedi, mars 07, 2009

Rebetiko








POST SCRIPTUM (à mon tour...) : 

On vient de me faire parvenir le texte préalable à celui que je commentais. "Ce qui s'est allumé en Grèce". J'en suis pour mes frais et pour ma grande gueule de remarques sur la situation historico-sociologique. Dont acte, là dessus, c'est à moi de me taire. (Ami boulet de l'informatique ou camarade aveugle, clique sur les z'images pour lire le texte en grand...)

Pour le reste (leçons d'organisation et suite), je ne retire rien.

Et je comprends d'autant moins que, partant d'un constat d'une telle justesse, l-es auteur-e-s en arrivent, dans leur Post-scriptum, à des conclusions d'une telle arrogance.













Cher-e-s camarades,




C'est avec un grand intérêt que j'ai lu "Nous sommes partout" et votre post-scriptum "Quelques considérations sur l'émeute et les moyens de l'insurrection, à la lumière de l'incendie grec" (1).

C'est surtout sur ce dernier que je voudrais revenir, le premier texte n'étant qu'une brillante considération générale sans trop de rapports avec la situation grecque.

Je parle en mon nom, de mon ombre à peine éclairée par quelques nuits passées à la lumière de l'incendie athénien.

Je parle au nom de quelques ami-e-s, de l'ombre, tout autant.

Et je me marre autant que je flippe.

Vous me faites penser à ces Français venant de débarquer dans une des nombreuses facs occupées d'Athènes et dont les premiers mots étaient de nous demander si nous avions "des nouvelles de Julien Coupat". Ces Français flippés d'aller à l'AG parce que pas de traduction. Ces Français ne parlant qu'entre eux. Ces Français qui déploraient que les textes écrits par les groupes athéniens ne parlent pas assez de la situation en France, mais uniquement de la mort d'un môme de 15 ans et des flammes d'Athènes.

Du nombril à l'omphalos, il y a un monde.

Vous en restez au nombril.

Je reviens au texte.

Vous partez du postulat dialectique "émeute" vs "insurrection". Soit. Ou comment appliquer à une situation étrangère une grille de lecture française, d'autant plus référencée que "l'insurrection" fait diablement penser au petit livre dont on parle tant en ce moment et à ce graffiti fameux : "étincelle à Athènes, incendie à Paris, c'est l'insurrection qui vient".

Il est intellectuellement douteux de parler de la situation grecque sans évoquer, ne serait-ce qu'a minima, l'histoire grecque depuis l'Occupation de 1941, la Guerre Civile, les Colonels, les JO de 2004, les incendies de 2007 et autres billevesées à peine signifiantes. Ce qui aurait pu vous éviter, par exemple, ce terrible contre-sens : non, la tentation n'a jamais été de prendre le Parlement. Si les manifestations passent régulièrement par Syntagma, c'est pour constater, à chaque fois, la vacuité du pouvoir. C'est pour s'accrocher à quelque chose qui n'existe pas. En témoignent les slogans lancés systématiquement. Pour comprendre cela, peut-être aurait-il fallu parler et écouter un peu plus.

Ou alors, c'est que vous n'y étiez pas. Mais je ne veux pas croire, que, dans ce cas, vous osiez écrire ainsi sur ce sujet.

Il est proprement dégueulasse de ne pas dire un mot de la mort d'Alexis, de la putain de mort d'un gamin de 15 ans.

Il est bien peu digne de donner des leçons d'organisation : "Ce qui a manqué, c'est...", "Dans les assemblées, faire un peu plus que refaire le monde". Je ne connais pas beaucoup d'AG où se décide, à 600 personnes, la minute prescrite pour l'assaut d'un ministère, de deux postes de police, de trois banques. Je ne connais que peu d'endroits où les autoréductions sont quotidiennes, je ne connais guère de lieux où la première entreprise lors d'une occupation a été d'ouvrir à la tronçonneuse la porte de la cafét' pour établir une cantine ouverte, gratuite et populaire gérée par des enfants. Quant aux médecins et pharmaciens : "Si vous prenez ce médicament et que, par hasard, vous descendez en centre-ville, ne l'utilisez surtout pas au milieu des gaz lacrymogènes." Si par hasard vous vous retrouvez là-bas...

Mais vous savez sans doute mieux.

Non pas "QUE FAIRE", mais "COMMENT FAIRE"...

Comment bloquer les flux, axes de communication ou voies d'apprivosionnement dans une ville où rien ne sert de bloquer les trains puisqu'ils ont au minimum quatre heures de retard, où bloquer l'économie reviendrait à arrêter les paysans qui chaque jour apportent les fruits et légumes sur les marchés d'Athènes, où bloquer les importations ruinerait les dockers du Pirée...

Comment, dans une ville dont vous ne maîtrisez ni l'histoire ni les codes, créer une "insurrection" ou une "perspective révolutionnaire".

Comment être des représentants de cette France qui a toujours été à l'avant-garde du mouvement révolutionnaire international.

Comment créer une commune autre qu'Exarchia, au moment où celle-ci était.

Comment créer les conditions de "l'insurrection qui vient" en France. A Athènes. Ailleurs.

Je parle au nom de ceux qui voudraient comme vous ; mais qui ne sont pas des vôtres.

De ceux qui restent volontairement dans l'ombre, sans vouloir être les parangons de la contestation radicale.

De ceux qui ne donnent pas de leçons, sauf aux donneurs de leçon de votre ordre.

Mais de ceux qui sont là.

D'Athènes à ailleurs.

De la France qui ne détient pas la vérité mais se soude à celle, relative, d'Athènes ou des Antilles.

Depuis votre départ de Grèce -pour peu que vous y fussiez- les actions continuent, quotidiennes. Du saccage en règle. Un seul conseil : retournez y, regardez, parlez, écoutez, apprenez, et témoignez.

Ou taisez-vous.




Ubifaciunt










"Quand on transforme l'authentique jouissance en plaisir marchand, la destruction du système devient une oeuvre d'art".

















(1) : "Post-scriptum :

Quelques considérations sur l’émeute et les moyens de l’insurrection, à la lumière de l’incendie grec.

En Grèce il y a eu des occupations massives, des émeutes, mais pas d’insurrection. On n’en était pas loin pourtant, avec ces affrontements généralisés, cette capacité des émeutiers à se projeter (au moins au début) pour attaquer des cibles choisies et surtout la sympathie réelle d’une grande part de la population à l’égard des révoltés. Alors, en effet, le pouvoir vacille, et même des flics anti-émeutes songent à lâcher l’affaire : un membre des MAT confiait ainsi courant décembre au Figaro qu’il préférerait largement pouvoir retourner élever des chèvres dans son village plutôt que de continuer à courir après des jeunes, un masque à gaz vissé sur le visage. Mais quel est le seuil, entre l’émeute plus ou moins généralisée et l’insurrection ? Qu’est-ce qui manque pour que la révolte grecque devienne irréversible, au point que tout retour à la normale ne puisse être désirable ou même envisageable ?

La question est pour nous incontournable, surtout si on considère qu’en France tout peut commencer une fois de plus par un mouvement. Et à la lumière de l’incendie grec, il apparaît bien qu’il ne suffira pas, pour faire basculer la situation, de pousser à leur intensité maximale les formes classiques du mouvement de contestation. À Athènes ou Thessalonique il y avait bien les facs occupées, des manifestations tournant systématiquement à l’affrontement, une organisation matérielle permettant de tirer des textes, de se soigner, des cuisines collectives…

Ce qui a manqué c’est une perspective révolutionnaire. Un élan qui embarque toute cette force collective, ou quelque chose comme une petite musique qui enveloppe d’un même mouvement la lutte et la vie, l’organisation stratégique et la circulation des affects, des amitiés. Dépasser la situation émeutière, dans un contexte comparable à ce qui se joue en Grèce, passe peut-être par des gestes décisifs à penser, à trouver. D’où la tentation toujours présente de prendre le Parlement (alors même que le pouvoir a déserté depuis longtemps les lieux du pouvoir). D’où aussi les récentes attaques au fusil automatique contre la police et les appels à la lutte armée de masse qui ont suivi. À l’évidence, aucune de ces deux tentatives n’ont pour le moment permis de faire basculer la situation.

Ouvrir une perspective révolutionnaire implique en tout cas de constituer un plan ou une force matérielle présentant plus de consistance. Une force qui prenne réellement en charge la question incontournable de l’approvisionnement. Occuper des endroits où on puisse vivre pour toujours, occuper autre chose que les lieux transitoires d’un mouvement des quartiers entiers, la ville. Devenir le territoire. Une commune se constitue quand on se met à occuper les endroits où on habite réellement. Et dans les comités de quartier, dans les assemblées, faire un peu plus que «refaire le monde» : tisser les solidarités concrètes qui permettront que ça tienne. Se réapproprier les moyens de vivre et lutter, les savoirs-faire d’ordre technique, médicaux en commençant par discuter avec les ouvriers de l’usine du coin, des infirmiers et des médecins. En s’assurant de l’usage collectif d’un garage, d’une boulangerie. Ne plus simplement brûler les poubelles, mais décider comment les ramasser.

Toute la puissance du soulèvement grec ne s’est certainement pas encore actualisée. Elle s’est trouvée contenue principalement du fait de limitations internes : la révolte n’a pas été réduite de l’extérieur, par la force ou par la famine. Et cette spécificité est loin d’être anecdotique : elle implique qu’en Grèce, l’insurrection n’a pas encore eu lieu ; mais sa défaite non plus. L’événement en appelle d’autres et cette répétition force quelque chose dans le présent. Elle le charge des désordres à venir et de questions qui redeviennent sérieuses, pertinentes : comment passe-t-on de l’émeute généralisée à l’insurrection ? Que faire une fois la rue acquise, parce que la police y a été durablement défaite ? Comment recomposer des réseaux d’approvisionnement autonomes ? Que signifie se débarrasser du pouvoir ?

Si les événements grecs résonnent en nous à présent c’est qu’ils permettent aussi de reposer, dans le réel, l’hypothèse révolutionnaire.

Rebetiko n° 0, janvier 2009
Chants de la plèbe."







"Ouvrir une perspective révolutionnaire implique en tout cas de constituer un plan ou une force matérielle présentant plus de consistance." (Ah ah ah...)











Pour mémoire :

le texte

les photos










Pour les esgourdes :

un Rebetiko, donc, beau à en pleurer...

6 commentaires:

Jérôme Leroy a dit…

L'arrogance, c'est désagréable mais normal quand on est en situation obsidionale. C'est étonnant ce que l'on se parle mal entre négateurs du système.
Mais bon, "fou qui fait le délicat..."
Oublions, nions, brûlons...
Amitiés vives

ubifaciunt a dit…

Le problème, c'est plutôt de vouloir être absolument en situation obsidionale...

Sinon, bien joué pour "la rose et le réséda", camarade...

thé a dit…

Ubi
bien adopté l'adjectif obsidional
mais qui est tellement polysémique
Les stals, des références poétiques, ils en ont plein

ubifaciunt a dit…

du genre :"Parti, ô mon Parti, tu m'as ouvert les yeux..."

Anonyme a dit…

si des masques et des cocks suffisaient à ouvrir une perspective révolutionnaire, le parti de l'ordre ne serai plus depuis belle lurette.

"moi j'y étais monsieur, j'ai vu, j'ai vécu, raaah, je sais."

ubifaciunt a dit…

Tout à fait, je témoigne (et ne donne pas de leçons, sauf en réponse à certain-e-s).

Il faudrait bien savoir lire, aussi, à aucun moment je ne prétends savoir.

Et puis, c'est intéressant, les témoignages, comme les lettres depuis l'intérieur des prisons, les textes de ceux-elles qui sont allé en Grèce ou à Villiers-le-Bel, non ?...

Pour la légende citée de la photo (publiée dans le "fanzine"), c'est effectivement l'assertion "constituer un plan ou une force matérielle présentant plus de consistance" qui me fait hurler de rire.

Maintenant, quant à débattre des "perspectives révolutionnaires" propres à la situation grecque, y a pas de souci, je suis là...