mercredi, avril 23, 2008

une journée à Nanterre (pas mes rêves !)



Huit heures du mat' :

Grillage de dernière clope avant de rentrer dans la maison d'arrêt pour voir N. Relève des équipes de nuit, une dizaine d'ERIS (1), encore cagoulés, riot gun à la main, regagnent leur voitures en se marrant et en me demandant si je suis avocat. Ils enlèvent leurs cagoules comme si de rien n'était, gueules de cons sûrs de leur force et de l'autorité confortée par l'anonymat et le fusil d'assaut. Welcome in jail, Ubi.


Huit heures et quart :

Privilège du parloir avocat accordé à un éduc, pas de fouille, pas de matons pour surveiller l'entretien. N. arrive, sourire illuminant la face, coupe de veuch' à la mode taularde. "Ubiiiiiiiiiii ?!?!". Trop surpris de me voir. Trop plaisir de se voir. Quatre mois qu'il croupit là. Il croyait que c'était l'avocat qu'il a quasiment révoqué, trop un bouffon... N. que j'ai quitté après une visite au musée du quai Branly avec sa soif d'apprendre pour comprendre le monde. Décidé à poursuivre après son entrée en taule, il a demandé deux trucs à l'Administration Pénitentiaire : un droit à une remise à niveau scolaire et l'accès à la bibliothèque. Dans sa légendaire mansuétude, l'AP lui a accordé la salle de sport. Il a malgré tout réussi à choper illégalement un genre d'encyclopédie qui s'appelle "Connaître", il me parle des doubles pages qu'il apprend, jour après jour. L'envie de se boire un café en terrasse près de la Seine et de mater les filles qui passent dans le soleil de ce début de printemps. La vanne finale aussi ; il va essayer de se recoucher si les matons le laissent tranquilles, je vais me taper une réunion de merde. Lui dire que j'échangerais bien ma place, à ce moment-là, contre la sienne. Le maton qui ne capte rien à notre éclat de rire final dans le couloir. Se revoir dans deux semaines.


Douze heures dix :

Putain de réunion, message de ma belle sur le répondeur du portable, je file aux chiottes en scrèd pour écouter cette minute de bonheur.


Dix-sept heures et des brouettes :

Sur le quartier, un jeune nous raconte comment, voilà quelques années de ça, ils ont réussi à obtenir un rencard avec la mairie après plusieurs lettres de demandes restées sans réponses. Méthode à réutiliser, variantes possibles :
1) Attendre qu'un élu se pointe sur le quartier, à l'occasion d'une réunion quelconque.
2) Fracasser la vitre de sa bagnole pour lui piquer les dossiers restés sur la banquette arrière.
3) Quelques jours plus tard, payer un pote qui servira en l'occurrence de complice pour aller dire à la mairie que, l'air de rien, il connaît le nom des jeunes qui ont fait ça mais qu'il veut surtout pas les balancer. Le complice repart en plus avec un petit billet qui honore sa citoyenneté.
4) Se faire inévitablement convoquer par la mairie qui préfère régler la question à l'amiable plutôt que de convoquer la police. Rendre le dossier dérobé avec un grand sourire avec, en guise de frontispice, ces quelques mots : "Puisque vous ne répondiez pas à nos lettres, on a préféré se faire convoquer officiellement."


Dix-huit heures cinq :

On passe à l'arrache voir l'amicale bouliste pour un projet qu'on a dans la tête (cf infra). L'impression d'être dans un Wolinski des 70's, moustaches jaunies par les gauloises maïs, odeur de bière de la buvette qui suinte des murs, gars rougeauds qui tapent le carton sur le tapis de jeu Ricard. Une assoce de quartier un peu minable tenue depuis plus de vingt ans par des bénévoles de plus en plus désabusés, pas de renouvellement du bureau, de moins en moins de crédits, l'alcoolisme chronique qui emporte les uns et la dépression les autres. Souvenirs émus de la canicule de 2003 : ayant piraté un tuyau de l'Office HLM, les boulistes arrosaient au jet les gosses jouant dehors et offraient à quiconque une cuve remplie d'éponges.


Dix-huit heures trente :

Le nom du projet en partenariat avec la glorieuse Ferme du Bonheur pour renouveler l'expérience de l'année dernière (2) est enfin trouvé. Foultitude d'animations en pied de tour vingt-quatre heures par jour pendant une semaine : concert de clavecin, vide-grenier, jonglage de feu et soirée disco. "Tout le monde dehors !". Plutôt rigolo pour un quartier populaire, qu'on a trouvé.


Vingt-deux heures cinquante :

Fin de la bouffe avec les collègues et une stagiaire revenue pour l'occase. Dernière clope dehors. Appel du A., tout gêné, avec qui j'ai rendez-vous demain pour aller à la Mission Locale.
"- Ouais, Ubi, je suis désolé de te déranger si tard mais...
- T'inquiète, A., si j'ai répondu c'est que tu me dérangeais pas...
- Ouais, je suis vraiment désolé pour demain, mais j'accompagne ma maman dans des démarches très importantes, je pense pas pouvoir être là à 14 heures...
- Ben, c'est pas grave, on dit plus tard si tu veux... 15 heures, ou après ?
- Ben, je sais pas combien de temps ça prendra... De toute façon, sinon, j'essaierai d'y aller demain matin...
- Oups, par contre moi, bonhomme, demain matin faut que je dorme un peu et je ne pourrai pas t'accompagner. Ecoute, si tu veux je te rappelle à 11 heures et on voit ce qu'on fait.
(Un temps, puis, la voix aussi gênée que reconnaissante et réconfortée.)
- Oui, d'accord. (Silence). C'est vraiment une jolie idée."
Je raccroche, yeux un peu ébahis. Quelle dernière phrase. Le gosse de quartier, le type-même du gars qui dit ""Putain trop de la balle, ok, vazy" qui me balance une dernière phrase digne d'un analysant sur un divan. Sourires. Les collègues se marrent et s'émerveillent.


Vingt-trois heures dix :

Nanterre-préfecture, le RER est encore vide et attend le départ pour Paris. Un siège taggué attire mon regard cerné de fatigue et de joie. Plus de deux ans plus tard, à l'époque, dans une autre banlieue. Des gosses morts pour rien. Des grands feux de joie et de rage. Plus de deux ans plus tard, les fachos vont s'installer dans la plus belle ville du monde. Une des plus belles journées au monde, de la maison d'arrêt aux wagons taggués en passant par le quartier, une ville qui vit, aime, et se souvient, par delà la mort et l'enfermement. Le signal sonore marque la fermeture des portes. Je m'assois sur le siège de Bouna et Zied. Ils m'accompagnent jusqu'à Montreuil et Montfermeil et Clichy-sous-Bois. Avec N., A., et tou-te-s les autres.







Mon Dragon - les Cafards (à n'en pas douter la plus belle chanson au monde de tous les temps of the world)









(1) : ambiance et cotillons, la preuve en texte et en images

(2) : souviens-toi l'été dernier

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Le dalai lama s'insurge contre ces méthodes de prises de rdv.

Anonyme a dit…

c'est pas moi qui ai mis le premier commentaire Ubi ;-)

pas vu l'an 01 de Wolinski

pourquoi le musée du quai Branly ?

Anonyme a dit…

1- J'aurais cru. Tu t'es bien reconnue. Ton style, quoi. Je pensais pas à la chanson de Ferré.

2- T'as rien râté. L'an 01. Pas de W.


3- Et pourquoi pas ?

Anonyme a dit…

Merci pour la chanson de Ferré, Thé !

pourquoi ce musée ?
c'est le résultat du démantèlement du musée de l'Homme a vocation scientifique,centré sur l'Homme et pas sur l'objet, devenu musée d'Art, ce qui implique une définition purement subjective des objets notamment pour faire augmenter leur valeur marchande...

ma question est donc : est-ce que c'est fait pour comprendre ?
Je voudrais comprendre.

ubifaciunt a dit…

@anonyme : et qu'en pense Ingrid ??? ah non, j'oubliais qu'elle était morte, la pute...

@birahima : Branly parce que branlette intellectuelle dans le musée avec un gosse de quartier et effective en terrasse ensuite devant les meufs qui passaient...

@thé : en parlant de pute, ton style, c'est plutôt approprié...

Anonyme a dit…

Branly, branlette, ouais !

Sinon, c'est pas que ton cul ton style. Bien que, c'est surtout ça. Enfin, la chanson. Dont on se souvient, en 1°

J'ai pas compris la 1° allusion. Enfin, pas compris le 1° message. Je croyais que c'était bira qui avait oublié de signer ; ça correspondait à son humour.

Il y en a des Ingrid mortes. Bergman ? Mais, c'est pas une pute.

J'ai pas compris le premier message, mais qu'est-ce que je l'ai aimé. Décalé.
Si c'est pas ça, tant pis. Il faudra le réemployer.

Ubi, consacre davantage de temps à ta douce.

Anonyme a dit…

Thanks Ubi
ai tout pigé ;-)

Anonyme a dit…

Ubi encore une fois tes rapports de vie sont si bien écrits que des tas d'images me viennent en tête.
J'arrive pas a dl la chanson de mon dragon mais j'ai hâte de l'entendre !

Anonyme a dit…

et puis les chaises sur lesquelles on s'assoit en terrasse, pour regarder passer, elles se sont pas fabriquées toutes seules
il y a des gens derrière