lundi, avril 14, 2008
Chasse à l'enfant
Le joyeux service public radiophonique (France-un-faux en l'occurrence) nous apprend ce matin l'ouverture de l'EPM de Porcheville.
"Etablissement Pour Mineurs". Première erreur grossière : il s'agit évidemment, dans la terminologie officielle, d'Etablissement Penitentiaire pour Mineurs. Oublie des mots, crapule de journaliste aux ordres, ça ne gommera pas pour autant les matons et les coups de trique, le mitard et les tentatives de suicide, réussies ou non (1).
L'enjoué journaliste aux ordres nous informe que les murs sont peints en gris clair, bleu ciel et jaune vif. Et que c'est bien parce que les gosses auront la télé jusqu'à pas trop tard dans la nuit parce que, quand même hein, faut aller en cours le lendemain. Interviews complaisantes du directeur de l'EPM et du chef des matons bien content d'avoir quitté Bois d'Arcy ou Fresnes.
Dix secondes à la fin pour vaguement évoquer que le Syndicat de la Magistrature "s'inquiète".
Rideau.
Trois minutes de "reportage" qui taisent les éducateurs forcés par le Ministère de la Justice d'aller bosser dans les EPM puisque pas grand monde (2) pour cautionner cette réouverture des Colonies Pénitentiaires disparues dans la nuit de Mettray, l'ombre de Genet, la révolte des enfants de Belle-Île ; rien sur sur l'Ordonnace de 1945 ; pas un mot sur les juges qui vont imposer les EPM comme "mesures éducatives alternatives à l'emprisonnement" alors que cet enfermement est une modalité pénitentiaire comme les autres ; silence complet sur les quartiers pour mineurs qui dégueulent dans toutes les prisons françaises ; bref un beau boulot de journaliste aux ordres en admiration devant les murs jaunes vifs et les détecteurs de mouvement infra-rouge de Porcheville.
Lutter contre la délinquance en construisant des prisons, c'est comme lutter contre une épidémie en construisant un cimetière. (3)
Et Belle-Île, donc. La révolte des enfants de la Colonie Pénitentiaire qui courèrent la lande et les bruyères à la fin de l'été 1934. Ne pouvant quitter l'île, ils furent repris un à un par les habitants, les gendarmes, les touristes désoeuvrés et sans doute les journalistes du France-un-faux de l'époque. Pain sec et eau croupie en guise de récompense une fois de retour dans les cellules aux murs peints de je ne sais quelle couleur.
"Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l'île
On voit des oiseaux
Tout autour de l'île
Il y a de l'eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements ?
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Il avait dit j'en ai assez de la maison de redressement
Et les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l'avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant il s'est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes les touristes
Les rentiers les artistes
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Pour chasser l'enfant, pas besoin de permis
Tous le braves gens s'y sont mis
Qui est-ce qui nage dans la nuit ?
Quels sont ces éclairs ces bruits ?
C'est un enfant qui s'enfuit
On tire sur lui à coups de fusil
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent ?
Rejoindras-tu le continent ?
Au-dessus de l'île
On voit des oiseaux
Tout autour de l'île
Il y a de l'eau."
Jacques Prévert
Keny Arkana - Réveillez-vous
(1) : le 31 mars 2008 une tentative de suicide d'un gosse de 16 ans qui a pété les néons de sa cellule pour se trancher les veines, un suicide réussi par pendaison d'un autre gosse de 16 ans début février 2008 à Meyzieu.
(2) : ah la joyeuseté des marchés publics de construction de prisons décrochés par Bouygues & guests, comme quoi que si, la misère, c'est rentable.
(3) : je sais plus d'où elle vient celle-là ; hommage.
chant sème antique :
fuck justice fuck peace,
media partout info nulle part,
ubifaciunt
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10 commentaires:
http://prisonpourmineurs.monsite.wanadoo.fr/index.jhtml
merci Ubi
je connaissais pas l'épisode de 1934, et encore moins le poème de Prévert...
par rapport à ce que tu dis sur les éducs; je crois que d'une façon générale, il va falloir penser à changer le terme de "travail social", mais je sais pas encore en quoi... à moins qu'à défaut de supporter le vertige, on soit capable de se jeter...(métaphoriquement bien sûr)
pas le temps de développer, une autre fois vieux
à plus
http://www.lmsi.net/spip.php?article549
Je l'avais appris au collège ce poème...
Marianne Oswald le chante. Ainsi que Les frères Jacques.
Denise Fabre, la speakrine, c'était l'idole de ma mémé ( rire).
Parait qu'elle était passée par une maison de correction.
Moins pire, peut-être, mais je ne pense pas que c'était pour apprendre à danser.
à l'école, ils ne racontent pas toujours l'histoire de belle-île, sauf pour qu'on reste sage. Ils nous obligent à l'apprendre par coeur et à crier avec les braves gens ; comme ça tu sais plus qui c'est les braves gens et qui c'est les chenapans. Consensus que ça s'appelle.
jusqu'au jour où, tu revois les braves gens à l'oeuvre...et plouf le consensus.
Et aujourd'hui commencent les travaux de la comission qui va remettre à plat l'ordonnance de 45.
ça va, ubi ?
@ thé : oui oui, j'ai entendu ça ce matin (toujours sur France-un-faux), que de joyeuses réformes courageuses en perspective... (saloperie de reste législatif des affreux insensés que furent les Résistants !!!)
@ rubab : Papon disait en 1961 "les policiers sont avant tout des psychologues", aujourd'hui "les psychologues sont avant tout des policiers..."
@ grandk : oui moi aussi, à l'école... d'éduc, hu hu (un peu plus tard quoi...)
@ birahima : un peu comme quand on a définitivement décidé de passer du côté du grand méchant loup avec le couteau entre les dents et la sorcière sur le porte-bagages du balai magique...
C'est chouette les belles tirades altruistes des "professionnels formateurs" des IRTS, en cours ou en entretien.
Pour avoir de bonnes chances de finir Kapo.
"_Tiens, si on demandait aux gentils pauvres de garder les méchants pauvres? Ça serait pratique...
_Mais, monsieur le Président, c'est ce qu'on a toujours fait!
_Ah? Et ils ne disent rien?
_En général, non, monsieur le Président.
_Décidément, j'aime beaucoup les pauvres. Ne changez rien. Pensez à les faire s'entretuer quand on en aura trop."
"Pour faire le moins de mécontents possible, faut toujours taper sur les mêmes" qu'ils racontaient les braves chefs Shadoks
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