Des fois, tu ne sais pas s'il faut hésiter entre.
Entre tu ne sais même pas quoi, au juste.
Aujourd'hui, au boulot, à Nanterre (pas mes rêves, !)...
Mais non, reprenons au début.
Coup de fil y a deux semaines.
Une mère de famille flippée pour son gamin qui fugue et qui est violent. 17 ans, le môme. Elle souhaite nous rencontrer.
No prob a priori. "Cas banal" en quartier populaire, on imagine déjà comment orienter la famille vers des structures plus adaptées bikoz on croule déjà sous le taf et puis bon, c'est pas des éducs de rue qui vont pouvoir régler ça, c'est juste l'angoisse de la mère et vu comment c'est présenté, y a peu de chances pour que le gosse daigne nous rencontrer.
La famille se pointe, en l'occurrence la mère et le beau-père.
Lui, genre randonneur du dimanche un peu paumé, grosses chaussures de marche, polo gris fadasse bien rentré dans le pantalon en toile vert bouteille, la banane en faux cuir qui trône paisiblement au dessus d'une discrète ceinture.
Elle, assez tristement quelconque en fait, un peu larguée, avec autant de cheveux blancs que de soucis dans son début de quarantaine.
Lui, genre randonneur du dimanche un peu paumé, grosses chaussures de marche, polo gris fadasse bien rentré dans le pantalon en toile vert bouteille, la banane en faux cuir qui trône paisiblement au dessus d'une discrète ceinture.
Elle, assez tristement quelconque en fait, un peu larguée, avec autant de cheveux blancs que de soucis dans son début de quarantaine.
Ils parlent.
Et c'est assez touchant.
Vraiment.
Lui, même si ce n'est que le beau-père, on sent qu'il s'en soucie de ce môme, qu'il accompagne de tout son possible cette femme qu'il aime et qui tremble pour son enfant. Qui appelle régulièrement le vrai père là-bas vers Béthune pour lui donner des nouvelles du petit.
Elle, qui se force dans sa dignité à ne pas pleurer, pas tout de suite. Qui se force à expliquer. Ses douleurs de mère qui dut se résoudre à déposer une main courante après les menaces de son enfant. La galère à l'école. Les engueulades à n'en plus pouvoir. Ses fugues à répétition, tous les week-ends. Les retours le dimanche aprème où il comate dans le canapé jusqu'au lundi. Même qu'une fois, elle a trouvé une "boulette de tabac" dans une poche du blouson.
Des petites gens, vraiment.
Des vies minuscules.
On parle du juge pour enfants, qu'il est encore là pour protéger les mineurs en danger. Ils soupirent et on voit passer dans leurs regards le spectre de la DDASS des années 80 qui te plaçait un gosse en foyer selon le bon vouloir des bas de contention de l'aigrie moustachue : l'assistante sociale. Mais, non, c'est fini tout ça, en plus, la loi (qu'est pas conne pour une fois) oblige depuis 2002 tout travailleur social à rendre à la famille accessible son dossier. Tous les écrits officiels, signalements, notes de situation, tout le reste (ce qui est plutôt judicieux, passkeuh par exemple, quand tu dois faire lire à une femme violée par son alcoolique de mari depuis 10 ans son histoire et celle de la petite frappée par le père, t'as intérêt à être juste et vrai dans tes mots, d'autant plus que tu dois le faire lire aussi à l'alcoolique de mari violeur et violent ; mais je divague...).
Rendez-vous est pris pour la semaine prochaine.
Coup de fil du gamin entre temps. Il sera là le vendredi.
Tout roule presque tranquillou.
Coup de fil bien chelou de l'assistante sociale scolaire le jeudi.
Comme quoi le gosse serait "anarchiste" et guidé par un mentor plus âgé qui lui retourne la tête. Et que ça suffit à motiver un signalement judiciaire.
Juste la mère et le beau-père, le vendredi. L'air grave, les sales jours de pluie qui te calebassent la tête. Germinal quand la mine s'écroule.
Non, il n'est pas là.
Encore une engueulade.
Il s'est barré, encore une fois.
Juste avant, il leur a dit que l'assistante sociale du lycée avait prévenu le juge pour des éléments graves. Et qu'elle a fait un signalement en trois jours. Sans prévenir les parents. Sans le faire lire au gosse. Un signalement direct au juge, alors que ce doit être au procureur. Qu'elle a propagé des rumeurs sans chercher la nature des infos. Qu'elle a pas voulu rencontrer les parents alors que ceux-ci le voulaient. et qu'elle part en vacances quinze jours le lendemain.
Pas moins de six fautes graves, éthiques, inadmissibles.
Qu'on en a flingué pour moins que ça.
Qu'une vie de famille est en jeu.
Qu'elle vaut même pas le prix de ses bas de contention pour se pendre, cette pute.
On a la rage et on tente d'encaisser le coup, de rassurer la famille, de lui dire qu'on va essayer de rattraper le coup, que l'heure est quand même grave et qu'il faudrait qu'on voit le môme au plus vite.
Quinze jours pour rattraper le coup.
On tente d'appeler l'inspection académique pour exiger une copie du signalement et l'avis du chef de service qui a honteusement laissé passer cette merde.
Qu'ils sont en vacances, for sure.
Coup de fil le lundi sur mon portable du môme, il sera là le surlendemain au rencard avec ses parents.
Il arrive avec ses vieux. Regard pétillant, casquette à clous, sigle anarchie négligemment épinglé juste ce qu'il faut de travers sur le perfecto, docs coquées, t-shirt Exploited, collec de badges des Béru, quelques boutons d'acné que le Roaccutane peine à soigner.
L'entretien commence, je réexplique comment on bosse, les écrits qu'on fait nécessairement lire, que si le môme veut pas nous voir c'est presque tant mieux comme ça nous fait moins de taf, cette salope d'assistante sociale et ses bas de contention, qu'il aura beau se rebeller et écouter Crass, jusqu'à 18 ans il dépendra, qu'il le veuille ou non, de ses vieux même largués et cons mais qui se soucient de lui, qu'il le veuille ou non, il dit qu'il écoute bien sûr Clash et les Pistols, et puis des récents français, les Betteraves, les Vieilles Salopes, Guérilla Poubelle et les Sales Maj', pas Mon Dragon, il connaît pas. J' te prépare un CD du plus grand groupe de l'histoire du wack' n' wall...
Et puis ça parle un peu entre eux, de la bienveillance qui suinte, et même si de l'incompréhension, et même si cette crevure, et même si les parents et la révolte d'un ado, on a encore quinze jours, je lui laisse mon numéro.
Derniers mots, je sors l'appareil, regarde la mère, mets sur on :
" Vous savez, madame, ça c'est comme j'étais y a six mois (montrant ma plus belle crête de l'époque), et ben votre fils il est pas encore comme ça, pourtant ça m'empêchait pas d'être en réunion avec le Conseil Général des Hauts-de-Seine et d'être crédible, juste parce que mes mots...
- Ah, c'est vous, je vous aurais jamais reconnu...
- ...
- Parce que vous savez les lois..."
Je tends l'appareil au môme. Il voit ma crête. Clin d'oeil complice. Du haut de ses presque 17 ans.
15 commentaires:
Tu n'aurais pas une meilleure version de Le bateau ivre , promis à george, sûre que j'ai entendu
Ah non, j'ai pas...
Par contre j'ai le bateau espagnol par Léotard qu'est fabuleux...
celui-la ? , oui fabuleux. Envoie-le, un jour.
Merci pour l'autre galion, ubi
Beau récit. Belle marque d'affiliation.
Surtout, qu'il se la fasse pousser, cette crête.
Tonnerre, j'étais sûr d'avoir laissé un commentaire hier ici-même ! à propos de l'interprétation léotardienne du bateau espagnol (sous-"bateau ivre" du temps où Ferré rimbaldisait), bien plus belle dans ses rocailleries que celle de Léo… Où donné-je donc la tête ? Ou alors c'est Blogueur qui déraille.
Entièrement d'accord avec Albertine, sinon : vous savez manier la plume, ubi, et pas pour des prunes !
Encore un concurrent redoutablement bien armé qui arrive sur le marché des auteurs. Les vieux plumitifs dont je suis se sentent poussés vers la sortie.
Une larme pour nous, svp.
Allons, Serge, pourquoi ce chleuasme ? Il y a de la place pour tout le monde, non ? On ne pleurera que de joie.
@ thé : Le bateau espagnol par Léotard (nan pas françois, l'autre, le seul...)
@ albertine : du moment que c'est pas de la filiation, ça va... (sinon, ça commence par laisser pousser la crête et ça finit par ne plus aller à la synagogue...)
@ george : toutafé d'ac' sur le Léotard, d'ailleurs l'album entier est un pavé tranchant (ah, les versions de "graine d'ananr" et de "la the nana"). Sinon, merci, mais je préfère les mirabelles aux prunes, atavisme lorrain oblige...
@ serge : ah ah ah.... (dit-il après ce bien chouette apéro bellevillois..) vivement la suite !
@ george : waouhhhh le mot bizarre que je connaissais pas (je croyais, jusqu'à wikipédiser, que "chaisme" mais je voyais pas, et la blam... merci, m'en resservirai avec les gosses du quartier, ça fera sa petite impression...
Ouais, mais ça peut faire pédant. Et puis, pas évident à utiliser (j'en avais causé à Albertine, en son temps). Pour Léotard, sûr que "La the nana" vous envoie direct au paradoche. Tout comme "Le temps du tango".
Vous fréquentez les Follies, Le Phénix, ou plutôt Le Vieux Saumur ?
Désolé pour les prunes, mais «… et pas pour des mirabelles» me semble délicat. Je ne connais rien à la Lorraine, ni à son p'tit cœur, mis à part Vireux-Chooz (et encore, par ouï-dire et voie d'affiche).
Merci pour m'avoir permis de dénicher divShare, sinon : ça permet de balancer du bon son.
Ah ah, les luttes de Chooz sont plutôt ardennaises, cher George... En son temps avec les historiques vieux de l'OCL à Reims... Toujours vaillants les gaillards !
Sinon, pour ce que je suppose être ces endroits, que je suppose être parisiens, si c'est le cas, bah non, Paris, je ne fais guère que traverser pour aller de banlieue à banlieue...
(Cela dit, j'avais bien appris le mot "procrastination" à quelques mômes du quartier ; l'un d'eux se prit de l'utiliser un jour devant une conseillère ANPE qui prétextait le moins cinq de l'horloge pour lui dire de revenir le lendemain. Le glorieux H. lança alors "Madame, ne faites pas preuve de procrastination !" et il fut reçu direct en entretien...)
et de rien pour divshare, j'ai remarqué, hé hé... pas mal le Debord, d'ailleurs...
Et F. M., toujours aussi partant (croisé cet aprème à la manif pro-Guadeloupe). Merde, je ne connais vraiment rien à la Lorraine, pas même son cœur d'acier !
Pour les bars, pardon, c'est à cause que vous causiez de Belleville (pas un kholkoze, certes).
Très belle histoire, le coup de la procrastination : comme quoi la pédanterie peut servir dans la lutte des classes… Vous devriez leur apprendre l'adjectif obsidional (soufflé par Leroy dans La minute prescrite pour l'assaut).
Pour les sons, faut juste que je comprenne comment permettre de télécharger. Tarnaquer. Pas trop le temps, pour l'instant.
Au fait, quand il chante tout seul comme un grand, le père Léautaud, c'est pas mal non plus.
Bon, j'éteins les feux. A bientôt.
Je préfère "poliorcétique" à "obsidional", hu hu...
Et oui, tout seul aussi, Philippe est grand.
Ca me rappelle une interview qu'il avait donnée du temps ou il était encore prof de philo, le sujet invariable qu'il filait à la première dissert' :
"Des trois mots de la devise de la République française, lequel est le plus important ?"
Et je lisais je ne sais plus où ces jours-ci qu'un vieux, le genre hussard noir du sud-ouest avait appris à son fils à lire ainsi ladite devise telle qu'elle est réellement écrite :
"Liberté, point.
Egalité, point.
Fraternité, point."
Rideau.
Cela me rappelle une autre chanson.
Mais il me semblait qu'au fronton des édifices, les trois mots étaient séparés par des virgules. Très joli, sinon, dans la concision, le hussard noir.
Léotard, auparavant prof de philo ? J'ignorais. Ses cours devaient être salés, avec en plus sa voix qui tue…
Ubi
merci ; div share, ça se maîtrise moins bien que deezer
George
non, non ; ce soir-là, vous n'avez rien laissé, ici, sur Léotard.
Par contre, vous êtes allé sur CSP parler de Spinoza. Mais comme c'est le même soir où je vous ai parlé de Montaigne et de "Pénéloppe", c'est 1 à 1. Je compte, maintenant, monsieur.
Sur les frontons, que ce soir en Euskadi ou ailleurs, il me semble qu'il n'y a pas de virgule entre les mots (Liberté Fraternité Egalité)
Oui, il me semble avoir lu quelque part que Léotard avait été prof de philo. Il a pas dû l'être longtemps.
Et, le frère, il est un brin au-dessus de sarko, question culture, j'entends
La voix, elle a dû tuer petit à petit.
J'aime pas trop Le Forestier, sinon
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