dimanche, mai 25, 2008
un seul Front à Nanterre : le Front populaire !
Nanterre, mai 2008
M. le Maire,
Jean-Marie Le Pen, le Front National et le DPS ne sont pas que des symboles : ce sont des ratonnades, des balles perdues, des morts. Le Mont-Valérien, Nanterre et la Folie ne sont pas que des symboles : ce sont des luttes, des rêves et encore plus de morts. En 1935, des communistes qui ne se présentaient pas encore sous cette étiquette furent élus à la municipalité sur une liste d’ « Unité d’action antifasciste ». De l’eau a coulé sous le pont Mirabeau, du sang a coulé le 17 octobre 1961 sous le pont de Neuilly ; en mai 2008, le Front National s’installe à Nanterre.
Une réunion de préparation en vue de lutter contre cette installation eut lieu à votre initiative le 17 avril 2008. Fraîchement réélu au premier tour des municipales avec plus de 56% des suffrages, vous aviez appelé les responsables politiques, syndicaux et associatifs à venir débattre, mais non les habitants. Certains vinrent pourtant, en s’inscrivant sous de faux noms aux listes d’émargement (1). De fait, il y eut pourtant ce soir-là un peu plus d’habitants que de débat. Une mère de famille avoua trembler pour ses enfants puisqu’une « forme de guerre » venait d’être déclarée par le FN. Un shibani craignit qu’il ne faille « mettre des tanks » place de la Boule. Un élu socialiste s’insurgea contre la violence qu’il crut entendre dans ces propos ; je ne vous apprendrai rien en soulignant que le parti dont vous vous séparâtes au congrès de Tours a toujours brillé dans son écoute et sa compréhension du peuple.
La municipalité s’engagea à appeler à la manifestation. À la démonstration de force. À la lutte « par tous les moyens » pour reprendre vos termes. Les affiches qui furent collées dans Nanterre avant le 17 mai étaient anonymes, l’œuvre de militants de l’ombre. Vous attendîtes le 14 mai pour publier un appel sur le site internet de la mairie. Pendant le mois précédent, vous faisiez signer une pétition sur les marchés (2).
La manifestation du 17 mai 2008 fut pire qu’un simulacre, ce fut une mascarade. Le PCF s’agrippait à la banderole et au micro, la CNT défilait déguisée en sapins de Noël, la LCR protestait puisqu’elle n’a jamais su faire que ça, les rares habitants qui avaient rejoint le cortège à la faveur de la Mafia K’1 Fry furent vite dégoûtés par le mode repeat activé sur « Motivé-motivéééééé ». On sait jamais, quéqu’ fois que trop de rap incendiaire n’incite des hordes de jeunes sanguinaires à se mêler au cortège. « On l’a pas voulue, on l’a pas souhaitée, mais c’est la guerre… » gueulait la Mafia. « Si une ligne de jeunes arrive, on sait ce qu’il y a à faire… » chuchotaient les oreillettes du SO du PCF au début de la manif (3). C’est sans doute pour la même raison que la manif évita consciencieusement de passer par la fête de quartier du Mont-Valérien pourtant toute proche et qui aurait pu rameuter un max de monde.
Le collectif avait validé la fin de la manif au 76, rue des Suisses, devant le siège du FN (4). Evidemment, le PCF prononça la dispersion 500 mètres plus tôt. Faut dire que depuis l’expérience des Soviets, les collectifs et le PCF, c’est un peu comme Le Pen et la Shoah, un sacré point de détail.
Le 19 mai 2008 eut lieu une réunion bilan de cette manif qui fut, pour vous, un succès puisque « beaucoup de gens sont descendus dans la rue ». Huit cents personnes… Comme un conseil municipal se tenait à 19 heures, vous ne pouviez être présent. C’est donc votre directeur de cabinet qui nous fit l’honneur de sa parole cravatée et gominée. Il parla vingt minutes sur les trente de sa présence. Même le discours des sbires-du-facteur-qui-passe-chez-Drucker parut intelligent au regard du laïus pisse-froid de ce fade communicant. Le dircab’ appela vaguement à la création d’un collectif pour construire un collectif de lutte, un peu comme s’il fallait envoyer des sachets d’eau lyophilisée en Afrique pour résoudre le problème de la sécheresse.
Le Front National a officiellement emménagé le 2 mai 2008. M. de la Palice m’apprend qu’il s’agit du lendemain du 1er mai, date chère depuis 1886 aux opprimés, date que le Front National a tenté de récupérer. En matière de récupération comme ailleurs, les cons osent vraiment tout : Casse-toi-pauv’-con a cité et repris Guy Môquet, Gramsci et Louise Michel dans ses discours de campagne. Le Borgne a repris le 1er mai et s’installe à Nanterre. D’ici peu, Ségolène citera Jean-Marc Rouillan.
« Un seul Front à Nanterre : le Front Populaire ! » scandions-nous au cœur de l’étique cortège. Non que nous cautionnions l’injonction de Maurice Thorez à cesser la lutte (5), mais plutôt que nous appelions de nos vœux le souvenir de nos racines, celles qui font que notre feuillage est toujours vivace. Le Front Pop’ qui interdit les ligues factieuses et fait au besoin le coup de poing. Le Front Pop’ qui occupe les usines dans la joie de la grève. Le Front Pop’ qui déborde les certitudes du Parti de l’époque. Le Front Pop’ de 1936, que les « forces de progrès » récupèrent alors qu’elles le sabordent avec application (toute ressemblance avec des événements de décembre 1995 ne serait que pure coïncidence). Dis, Mme Notat, dis M. Chérèque, dites MM. Vianet et Thibault, comment vous appeliez-vous à l’époque ? (6)
Je conçois cela dit parfaitement, M. le Maire, que votre positionnement soit délicat.
(Je passerai rapidement sur les absents du collectif et de la manif. LO est en train de débattre sur l’alliance ouvriers/paysans et les possibilités de condition de recréation de la IVème Internationale dans la France de 2008. Une scission serait à l’ordre du jour entre les mouvances Mandel et Frank. Le PS débat, pour sa part, sur l’investiture qu’il accordera à la présidentielle de 2017. Damien Saez tient la corde mais l’éléphant Philippe Val résiste bien. La surprise Cécile de Ménibus n’est pas à exclure. Quant à Lionel Jospin, il hésite à se retirer définitivement de la vie politique.)
Bien sûr, donc, il y a la LCR, futur Nouveau Grand Parti Anticapitaliste, qui suinte l’entrisme par tous les pores et qui a toujours cette sale habitude acnéique de faire des AG et des commissions à tout va. En plus ils militent à Nanterre, mais z’habitent à Neuilly, la ligue à Léon (dixit la chanson). Cela dit, pour une fois qu’ils sont plus dans la rue que sur les pelouses de la fac, pourquoi pas…
Bien sûr il y a la CNT, antifascistes radicaux qui ne sortent des Vignoles ou du bar que pour se croire une troupe d’élite et avoir le frisson du baston. Pendant ce temps, les oreilles de maman se reposent de ne plus entendre de la oï résonner à fond dans la chambre du petit. Mais pour une fois qu’ils vont plus en manif qu’en concert, autant en profiter…
Bien sûr il y a des anarcho-autonomes, cette nouvelle menace sourde qui lance des pavés, brûle des voitures et n’a pas plus d’intérêt à l’ordre qu’au désordre. Même si ceux restés au squat se demandent si ce soir on va manger vegan ou pas, ils sont prêts à débarquer de toute urgence si ça s’annonce sérieux. Comme ceux de la LCR ou de la CNT, militants que j’espère sincères. Non les appareils, mais les militants.
Bien sûr il y a les gosses des quartiers, ceux que l’on n’a étrangement pas vus durant cette manif. Je n’ose croire que vous repreniez les mots de votre confrère M. André Guérin, maire PCF de Vénissieux, en novembre 2005, adressés à M. Jacques Chirac, Président de l’époque : « Je souscris à votre propos de rétablir l’ordre. La société française est en dérive. Il n’y a pas à hésiter : rétablir l’ordre est une priorité. (…) L’heure est au rassemblement républicain pour éradiquer la gangrène, la barbarie, la sauvagerie. » Vous êtes de cette gangrène, M. le Maire, vous avez grandi aux Pâquerettes, au cœur des cités de Nanterre ; vous savez qu’il vaut mieux une bonne guerre civile qu’une paix pourrie. Sinon, vous avez renié ; sinon, vous avez trahi. Non seulement les amis de rage et de jeunesse, les arabes, portugais, les français et les yougos, mais surtout votre humanité même et le si joli mot qu’est « communisme ».
Ce communisme plutôt moribond dont le spectre ne hante plus guère la vieille Europe et dont les partis sont devenus des repaires de soc-dém’. Ou pire, à l’instar de ce M. Guérin, des saloperies de crapules réactionnaires. On a les voitures brûlées que l’on mérite. Rappelez-vous les mots du vieil Hugo, écrits après la Commune, à ceux qu’on foule aux pieds :
« Qu’il fallait leur donner la part de la cité ;
Que votre aveuglement produit la cécité ;
D’une tutelle avare on recueille les suites,
Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l’ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte. »
J’étais à Nanterre, donc, en novembre 2005. Je me souviens, qu’à l’inverse d’autres, la ville n’a pas flambé, ou si peu. Bien au contraire, la fréquentation des lieux culturels ou sportifs augmenta de manière significative. Je me souviens des innombrables provocations policières et des gosses débattant sans fin, entre eux ou avec les adultes. Il fut dit à l’époque que les dealers avaient donné des consignes de calme pour ne pas perturber le trafic. Comme si Nanterre était la seule plaque tournante d’Ile-de-France. Comme si cette ville n’avait pas, chevillée de son sang, la culture de la discussion politique, partisane, éternelle, cette place publique où se fait, se défait et se refait le monde. Je me souviens des discussions disant en substance : « Ils ont raison de se révolter, maintenant, ils feraient mieux d’aller brûler des voitures dans le XVIème plutôt que dans leurs cités, l’Elysée plutôt que leur école. » Il semble qu’aujourd’hui les raisons de se révolter soient toujours aussi justes. On a les voitures brûlées que l’on mérite, M. le Maire, les sièges de partis politiques aussi.
Cela fait trois ans que je bosse à Nanterre et que j’aime farouchement cette ville, ses quartiers et ses habitants. Ce midi, alors que j’allais prendre un café à ma sandwicherie habituelle, deux gars à la gueule fracassée de mercenaires ayant fait le Tchad et la Serbie, gants de cuir plombés en évidence, sont entrés après moi pour s’acheter un jambon-beurre. « Français, ne craignez rien, c’est la Milice française… » Ils m’ont détaillé des pieds à la casquette. Inutile de dire que la sandwicherie est près de la place de la Boule. Inutile de dire qu’il s’agissait du DPS. Pour la première fois depuis trois ans dans cette ville qui est devenue la mienne, j’ai eu peur. Et je ne m’appelle pas Mohamed.
Mohamed et les autres sont là, M. le Maire, ils ont voté pour vous. N’ayant pas voté, je suis là aussi, comme tant d’autres. Nous n’attendrons pas votre signal pour faire ce que nous avons à faire. L’histoire nous a appris qu’il n’y a pas trente-cinq manières de virer les fachos. Mais nous vous attendons.
Avez-vous donc à ce point peur de ceux qui vous ont réélu au premier tour ? Ne croyez-vous pas qu’étant à nos côtés en première ligne, vous acquérrez l’estime et la force de tout le peuple de Nanterre ? Préférez-vous voir votre écharpe tricolore défiler une fois par mois face aux caméras de France 3 Ile-de-France plutôt que de virer le FN pour de bon ? Je repense encore au vieil Hugo, écrivant à la dépouille de Dumas (7) : « Rien ne lui a manqué : ni le combat, qui est le devoir ; ni la victoire, qui est le bonheur. » Avez-vous vu à la fin de la manif ce petit groupe de jeunes qui buvait tranquillement cafés et limonades place de la Boule ? Les CRS, comme un symbole, commençaient à descendre la rue de Saint-Cloud. Les foulards montaient sur les nez en même temps que les rires et l’impatience. Rien ne nous manquait. Votre discours se terminait. Et nous n’avons pas combattu.
« Quand la France lutte, c’est toute l’Europe qui rêve » disait une camarade grecque à la tribune de la fac lors d’un quelconque mouvement étudiant. La lutte, en actes, de Nanterre contre tous les fascismes doit faire de la ville un champ de bataille et de joie. 82% des français, au moins, auront le cœur à nos côtés. Le FN parle de Nanterre comme d’une « zone de non-France ». Puisse cela être vrai. Nous haïssons la France, ses flics et ses fachos ; nous gerbons sur cette démocratie qui expulse nos frères sans-papiers ; nous voulons détruire cette république qui tue Brahim, Bouna, Zyed et Lamine. Nous ne sommes que sous-France. Soyons la non-France, l’anti-France et l’Internationale. Une Commune libre. Et que, de cette lutte effective et de cette victoire, Nanterre redevienne un symbole. Une joie.
LA-FRANCE-DES-CAVERNES
(section Georges Guingouin)
NB : J’apprends que vous avez dissous le « collectif » pour créer un « Comité de vigilance ». Le ridicule de cet observatoire le dispute à la lâcheté. Comptez les balles perdues, M. le Maire, c’est tout ce qu’il vous reste.
(1) : Etrangement, certaines assoces qui avaient pourtant laissé adresse et mail n’ont reçu aucune information ; sans doute une mauvaise manipulation (et pas qu’informatique…)
(2) : Quand on sait que plus de la moitié des habitants des quartiers populaires de Nanterre n’ont pas les ressources suffisantes pour se payer les 30 € mensuels d’accès à internet et qu’un million de signatures n’ont pas suffi à sauver les époux Rosenberg, calculez le pourcentage d’efficacité de votre action sur un dirigeant frontiste.
(3) : http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=97828
(Martine à la manif)
(4) : Le siège du FN est au 76, rue des Suisses, à Nanterre. Je répète. Le siège du FN est au 76, rue des Suisses, à Nanterre.
(5) : « Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées mais que l’on a obtenu la victoire sur les points essentiels. » Maurice Thorez, 11 juin 1936.
(6) : Les syndicats sont nos amis : jamais, jamais ils ne nous ont trahis !
(7) : Le père, hein, pas la crapule de fils livreur de communards…
la-france-des-cavernes@no-log.org
http://la-france-des-cavernes.blogspot.com
(chopé sur indy...)
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ubifaciunt
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5 commentaires:
en cristal, en porcelaine
je serais curieux de voir ce qu'il va te répondre (en espérant qu'il réponde bien sûr)
par contre, j'ai pas compris que la manif ait eu lieu après l'installation du FN; y'en avait eu d'autres avant, où alors ils avaient emmenagé en loucedé?
en tout cas elle tue cette lettre, énorme taff Ubi;
"le combat continue"
merci à toi
"il a du bobo Léon"
@ birahima : en fil de fer barbelé aussi
@ rubab : ben c'est pas de moi, hélas...
mince, y'a pourtant pas mal d'éléments qui laissaient penser le contraire... çà doit être de ton double (ubiquiunt)
dans tous les cas merci quand même
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