vendredi, décembre 28, 2007

un soir d'Auvergne



Ce ne devait être qu’une halte, une nuit, une soirée tout au plus sur la route des vacances. Et puis cette petite route qui monte vers ce village dont j’ai tristement oublié le nom. Nous devions dormir là avant que je ne parte le lendemain pour Albi, Toulouse et Barcelone. La maison était grande, oubliée, sans doute prêtée par un cousin éloigné ou quelque obscure grand-tante. Je me rappelle m’y être ennuyé bien vite et avoir décidé de faire, comme on dit, le tour du village. Le soir tombait, ciel violacé et vent vif, hautes herbes, quelques maisons et la porte du café. Je la poussai fièrement avec l’arrogance de mes vingt ans, m’attendant à trouver je ne sais quels jeunes du coin venus zoner autour du baby et d’une bière. Quatre ou cinq hommes au comptoir, le patron qui avait probablement le torchon à l’épaule ou à la main. L’assurance, d’un coup, s’en va. Impossible de reculer. Bonsoir messieurs. Pas de réponse, ou murmurée. Les conversations ont cessé ; le patron, de l’œil, attend ma commande. Euh, ben, je sais pas, kess ke vous buvez dans le coin ? Merde, j’ me suis dit, quel con, mais vraiment quel con, genre le gamin d’ la ville qui descend rendre visite aux autochtones, youyou la réserve d’indigènes, et vazy ke j’ te leur demande de l’exotisme en boutanche. Impossible de reculer. Il ne répond rien, chope une bouteille aussi verte que les herbes du dehors, remplit cinq verres. Je crois me souvenir que j’ai honte à ce moment-là, honte d’imposer ma présence, honte de ce verre. C’est pour moi Jean-Pierre. Je sais que j’ai commencé à parler, un peu, de cet alcool de plantes inconnu qui te réchauffe le bide et te donne envie de parler. Je sais que je me suis tu, aussi. Pour profiter du silence qui n’était plus du malaise, pour écouter les demi-mots de ces hommes qui parlaient de leur terre, pour apprendre, tout bêtement, comme on écoute un père. Un deuxième a dit que c’était pour lui Jean-Pierre. Les souvenirs ici s’embrument, les années ont passé, les verres se succédaient, je me souviens simplement que j’étais bien, que je pensais à cette foutue chanson de Brassens et que je ne me suis pas permis de dire Jean-Pierre c’est la mienne, mais simplement, du regard ou de la voix, vous z’en r’mettrez une siouplaît. Un seul a accepté, pour ne pas me faire l’injure de boire tout seul, les autres, toutefois, communiaient en souriant. J’ai follement aimé ces hommes et cette sorte d’examen de passage qu’ils me firent subir, sorte de rite initiatique dont nos sociétés ont désappris le caractère enchanteur, j’ai follement aimé ces hommes qui ne firent pas semblant de me prendre pour un de leurs mais avec qui je vécus de poignants instants de fraternité, j’ai aimé leur rudesse, leur alcool et leur terre, j’ai oublié le reste des vacances, Albi, Toulouse et Barcelone, seul me reste aujourd’hui ce village auvergnat dont j’ai tristement oublié le nom et ces hommes dont l’au revoir, à ma sortie du café, fut le plus touchant que j’entendrai jamais.



(OST : Madredeus - Alfama)

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