(Précision en réponse à l'avalanche de sacs postaux, de mails et de coups de fils : Si cette lettre bien réelle a été envoyée, il est à préciser - bikoz c'était peu clair pour certain-e-s - que je n'ai pas eu de gosses pour autant. Magie de la nature, parfois... Dont acte.)
"Je fore
Je creuse
Je fore
Dans le silence"
Eugène GUILLVEIC
28 Janvier 2004,
Ce sera donc la lettre ultime, celle qui essaiera de (tout) comprendre, de faire comprendre, celle qui espère plus que jamais une réponse, un mot ; celle après laquelle il n’y aura d’autre possibilité que le silence, si elle reste vaine.
Comme je te l’écrivais la dernière fois, il y a eu pas mal de bouleversements ces derniers mois. J’ai re-vécu ta situation quelque vingt-cinq ans plus tard, ce qui a provoqué des accès d’angoisse pure, chronique, invivable. Tout connement, comment pouvoir me retrouver en tant que moi quand je me sentais à la fois proche de cet enfant qui allait naître et ce statut de père à assumer contre son gré, à assumer puisqu’il était, dès le départ, hors de question que je réagisse à ta manière. Ne vois pas ici un blâme mais une simple conséquence de mon expérience de fils sans père.
J’ai pu ainsi entrevoir une bonne partie des sentiments que tu as dû éprouver toi aussi, quand tout tient dans la parole d’une mère et que tu te retrouves littéralement pris au piège. Ça me rappelle ce mot que tu avais écrit pour ma naissance et que j’ai retrouvé en fouillant dans les papiers de ma mère (oui, je sais, c’est mal, mais c’est avant tout mon histoire) et que, depuis, je garde précieusement : "Les raisons pour lesquelles je ne suis pas revenu sont nombreuses mais je me sentais en quelque sorte pris au piège…". Les mots sont étrangement les mêmes, la situation aussi. Comment moi, ayant pendant plus de vingt ans abhorré, exécré, vomi, renié un père qui m’avait, croyais-je, délaissé, comment pouvais-je avoir une chance sur un million de revivre la même situation et d’avoir fait un gosse sans le vouloir ?
Et le critère de cette putain de paternité ? Suffit-il de coucher avec une meuf qui tombe enceinte et refuse d’avorter qui fait de toi un père ? Partager la vie d’une femme qui a eu des enfants précédemment et que tu es amené à considérer comme les tiens propre ? Un peu des deux, des trucs en plus, des conneries de conceptions judéo-chrétiennes, l’image que tu te fais de pouvoir avoir donné la vie, rien de tout cela ?
J’en sais foutre rien, mais une chose me semble sûre, c’est que doit se ressentir une forme d’honneur et de devoir par rapport au gamin que tu as conçu, même si tu ne l’as pas voulu. Je reconnais que notre misérable faiblesse humaine, qui plus est masculine, fait que c’est loin d’être facile. Je comprends ton attitude, ton silence et ton refus d’avoir quoi que ce soit à voir avec une décision que tu n’as jamais prise ni sans doute envisagée, ce n’est pas pour autant que je cautionne ton attitude.
C’est toujours moi qui ai dû chercher, comprendre, venir te voir une fois (mais j’y reviendrai), t’écrire. Un tel événement -avoir un gosse- est-il donc si insignifiant pour toi que tu ne te poses la moindre question, que tu n’aies le plus petit regret, la moindre honte, un quelconque soupçon de sentiment de culpabilité ? J’en appelle à l’homme conscient de ses faiblesses, l’homme ayant une femme et des gosses ; cette fille que j’ai entrevue le soir où je suis venu sait-elle seulement que son père…?
Tu n’as pas eu une seule fois le courage ni les couilles de me parler franchement. Je sais que bien des enjeux me dépassent de loin, mais je n’ai nulle envie de pourrir le restant de mes jours en ignorant tout de celui de qui je tiens la moitié du patrimoine génétique, que ça lui plaise ou non.
Tout au long de ces années, je t’ai d’abord haï, j’ai voulu t’ignorer, toi que je jugeais être l’unique responsable de mes malheurs (comment ne pas se sentir différent, exclu, peu sûr de soi quand plane au-dessus le fardeau du tabou et des non-dits ?). Hélas, cette volonté de t’ignorer me faisait encore plus penser à toi et encore plus te haïr, jusqu’à ces foutues journées où je n’en pouvais plus et où je dus venir te voir.
Je sonne, fébrile comme jamais, tu ouvres la porte, nous nous taisons quelques instants que je me rappelle interminables, je comprends à cet instant en te voyant, physiquement, tout ce je te dois, ta taille, tes yeux, je comprends à cet instant que tu es mon père et un truc dans le même genre doit te chambouler le crâne. Terribles instants où la vie bascule en une demi seconde.
De mémoire, la suite donne ceci :
« - Alors, z’êtes mon père ?
- Euh il paraît, oui.
- …
- Venez dans mon bureau. »
Ce vouvoiement qui me débecte encore aujourd’hui ; comment as-tu pu, en me voyant, en chair et en peur, devant toi ? C’était pas suffisant que je me mette minable à ce point devant toi pour que tu me traites comme le premier étranger venu, celui qu’on vouvoie et qu’on accueille dans son bureau ?
Et les lettres qui ont suivi, pour le fric, pour le rien, pour t’annoncer cette putain de nouvelle, t’as toujours pas compris que c’était un appel au secours, une demande d’aide, d’amour, un voeu intense de dialogue, de tout ce que t’as pas fait, de te voir, me parler ou m’écrire, tout simplement ?
Encore aujourd’hui, je ne suis pas au clair vis-à-vis de toi ; je ne sais pas ce que j’attends, ce que j’espère, ce dont je rêve. Sans doute l’image d’un père clair, sinon face à moi, du moins face à lui. Ce doute m’obsède encore et encore et toujours. J’en ai ras-le-cul de vivre avec mes angoisses, ma faiblesse, mes rendez-vous bihebdomadaires sur un divan de merde, mes questions à la con, ma bite qui veut bien bander une fois sur deux, mes rancoeurs à ton encontre ; et même si ce n’est qu’à moi de régler toutes ces merdes, je sais qu’elles ont un rapport avec toi, toi que j’aimerais considérer autrement que comme un connard sans scrupules.
Je me débats donc avec mes névroses, je cherche, j’ai peur, j’écris. Là se trouve ma vie, la seule part de liberté que je pourrai jamais conquérir, c’est pas gagné, mais bon, j’essaie. Et forcément, le p’tit gars Kafka qui rôde entre les lignes, en filigrane : "Bien sûr, c’est une illusion, je ne suis pas, ou dans le meilleur des cas pas encore libre. Ce que j’écris traite de toi, je ne fais là qu’exprimer des plaintes que je ne peux exprimer contre ta poitrine. C’est, volontairement tirés en longueur, des adieux que je te fais, à cela près qu’ils me sont imposés par toi, même s’ils suivent une direction déterminée par moi."
J’ignore évidemment quel sera notre futur. Là encore, je cherche. Répondras-tu, comme je le souhaite tant, à cette putain de lettre, te tairas-tu encore, jusqu’à la mort, par delà ta mort ? Qui sait ce que l’avenir me réserve ? Toi, et seulement toi, juste un peu de courage et de couilles, je t’attends.
Bien à toi.
(OST : Barbara - Nantes)
samedi, décembre 08, 2007
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4 commentaires:
Gloups.
On est pas mal dans ça ces jours-ci, non?
Ouaip'.
J'hésitais à balancer cette lettre depuis quelques temps et puis, en te lisant, me suis dit merde après tout, plus grand chose à treuf... de toute façon, hein, on fait/est ce qu'on peut avec ce qu'on a.
(amicale "easy speaking" bonsoir...)
merci Ubi de nous faire partager si concrètement ton histoire.
c'est marrant, moi je connais mon daron, on a vécu sous le même toit plus de vingt ans, mais j'ai souvent eu les mêmes combats internes que toi pour rester patient et espérer une réaction; au final je me suis dit qu'un menhir par exemple, qui aurait eu dans l'idée de bouger, devait sacrément souffrir de ne pas y arriver, et c'est comme çà que j'imaginais sa lutte à lui... mais j'avais au moins l'avantage de l'examiner au quotidien et d'avoir ainsi plus d'indices sur ce qui se passait sous la pierre, j'en conviens...
toujours le bordel les relations père/fils, alors si le père n'est pas là j'imagine même pas...
bref, j'arrête mes conneries avant de m'endormir sur le divan.
à plus Ubi
(P.S: au fait! en ce qui me concerne je dois avoir de la chance puisque ce sera une fille inch Allah)
Pas de "merci" et encore moins de "concret", juste un bout de vie et de mots comme tant d'autres que me-mysef & I...
les menhirs, c'est comme les icebergs, y a les 9/10ème enfouis, nan ?
une fille... rahhh, elle va être belle, la greluche :-) (veinard, va !!!) (et elle arrive quand la princesse ?) (et comment va la future maman ?)
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