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Ce sont les traces d’un texte qui ne sera jamais fini.
Jamais écrit, donc.
Plus d’une semaine plus tard, et les blessures sont toujours aussi vives.
« Nul de nous n’est sûr d’échapper à la prison. Aujourd’hui moins que jamais. Sur notre vie de tous les jours le quadrillage policier se resserre : dans la rue et sur les routes ; autour des étrangers et des jeunes ; le délit d’opinion est réapparu ; les mesures antidrogues multiplient l’arbitraire. Nous sommes sous le signe de la garde à vue. On nous dit que la justice est débordée. Nous le voyons bien. Mais si c’était la police qui l’avait débordée ? On nous dit que les prisons sont surpeuplées. Mais si c’était la population qui était suremprisonnée ? Peu d’informations se publient sur les prisons : c’est une des régions cachées de notre système social, une des cases noires de notre vie. Nous avons le droit de savoir, nous voulons savoir. »
Michel FOUCAULT, 1969,
(cité par Jean-Marc ROUILLAN dans ses Chroniques carcérales)
Lacan parle.
Il se tait, aussi. Surtout.
Racle sa gorge, mâchouille un peu son cigare.
Lacan se tait.
Deux jours à la Maison d’Arrêt de Nanterre. Se taire.
Se taire et hurler.
Taire le quartier disciplinaire, le mitard du quatrième étage, les murs fracassés, troués, sanglants, le maton ou l’infirmier ganté d’un plastique maculé de merde, au quatrième étage des cercles de Dante, le cliquetis des portes qui s’ouvrent et surtout se referment, et les cris des détenus peinent à frayer l’air du quatrième.
Lacan parle.
« De sa condition de sujet, on est toujours responsable. »
Responsable, ce môme de vingt berges ; il a choisi le deal, il assume la taule, il a choisi de me voir toutes les deux semaines pour quand même imaginer que le futur ne ressemblera pas toujours au quatrième étage.
Lacan pose.
Sûr de lui, aussi justement infatué de son savoir qu’un maton de sa trique.
Les matons, justement.
« De sa condition de sujet… »
Le samedi exceptionnellement, pour aller au parloir, comme d’habitude. Le-maton-qu-est-sympa (ie : celui qui précède toujours le nom du détenu par Monsieur) me dit que ce ne sera pas possible aujourd’hui parce que Monsieur est au quartier disciplinaire. Seuls les avocats, pas les éducateurs.
« Effectivement, Monsieur, je comprends bien ; seulement j’ai une autorisation de parloir avocat et je suis donc considéré comme tel… »
Je remarque opportunément le nom du lieutenant de permanence du week-end sur une affiche et, après cinq minutes de discussion stérile, demande à parler au supérieur de faction. Trop heureux de se décharger d’une quelconque responsabilité, le maton s’exécute (au sens figuré, hélas).
« … on est toujours responsable. »
C’est qu’il a l’air joyeux de bosser le week-end le lieutenant. Je lui ressors le même discours.
« …
- Non, pas possible.
- Très bien Monsieur, dans ce cas j’exige un courrier de notification expliquant les raisons motivées de votre refus, courrier que vous voudrez bien signer, ainsi que faire signer à la personne m’ayant délivré le permis de visite, à savoir Monsieur le Directeur. »
Je me cale dès lors dans la posture du gars qui attend que l’Administration Pénitentiaire lui remette un courrier un samedi matin de novembre.
Je ne sais toujours pas par quel bout prendre cette histoire. L’horreur de l’escalier menant au quatrième, la cravate de Lacan qui fait obstacle, ma propre peur.
Lacan parle.
Il se tait, aussi. Surtout.
Moi aussi.
et Léo emmerde le mitard et le Vauban !!!!