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"Deux jours après sa déculottée aux municipales, le mardi 18, Sarkozy était au plateau des Glières, haut lieu de la Résistance. Il s'agissait de retrouver une vraie "stature" et de "faire président" dans un site dont il entend faire sa Roche de Solutré.
A 11 h 30, après avoir salué le drapeau, passé les troupes en revue, prononcé une brève allocution et s'être recueilli devant la tombe de Tom Morel, le chef du maquis, il reste quelques minutes dans le cimetière, à deux pas des tombes alignées des 105 maquisards tués au combat, et devise avec une vingtaine d'anciens résistants, pour la plupart réquisitionnés en catastrophe cinq jours avant, par pli présidentiel apporté par deux motards de la gendarmerie. Et là, dans l'enceinte du cimetière, chassez le bling-bling, il revient au galop, le voilà qui se met à plaisanter, à parler de Carla, et de lui, encore de lui...
A un ancien résisatnt qui lui fait remarquer la présence de deux républicains espagnols : "En plus, je défends les Espagnols, mais les Italiens ne sont pas mal non plus. Maintenant que je suis marié à une Italienne !" Et de se marrer... Un temps. "Ils sont beaux, tous ces chasseurs alpins..." Le général Bachelet, président de l'Association des Glières, lui montre un point élevé dans la montagne : "Nous nous sommes refusés à laisser des résistants tombés dans une embuscade enterrés dans une fosse commune... Nous les avons ramenés ici dans le cimetière." Sarkozy, ne faisant même pas semblant d'écouter, le doigt pointé vers une hauteur : "C'est quoi la cascade ? C'est magnifique... Ecoutez, je vous aime beaucoup." A une dame de l'assistance : "Ce rose vous va très bien. Je n'en tire aucune conclusion politique (hilare)."
Un des anciens résistants trouve qu'il va trop loin et l'apostrophe : "Président, faut calmer, faut calmer !" Lui n'entend rien : "Ben oui, faut bien s'amuser un petit peu." Surtout dans les cimetières.
Un autre lui offre un livre qu'il a écrit. Sarkozy le remercie puis : "C'est bien, comme ça je pourrai dire que j'ai un copain FTP (rires). Et vous direz j'ai un copain président de la République."
Pour endosser le costume de vrai président, y a encore du boulot... Le bling-bling fait de la résistance."
Jean-Luc Porquet, le Canard Enchaîné n°4561
"Lorsque Tom Morel eut été tué, le maquis des Glières exterminé ou dispersé, il se fit un grand silence. Les premiers maquisards français étaient tombés pour avoir combattu face à face les divisions allemandes avec leurs mains presque nues, non plus dans nos combats de la nuit, mais dans la clarté terrible de la neige. Et à travers ce silence, tous ceux qui nous aimaient encore, depuis le Canada jusqu’à l’Amérique latine, depuis la Grèce et l’Iran jusqu’aux îles du Pacifique, reconnurent que la France bâillonnée avait au moins retrouvé l’une de ses voix, puisqu’elle avait retrouvé la voix de la mort.
L’histoire des Glières est une grande et simple histoire, et je la raconterai simplement. Pourtant, il faut que ceux qui n’étaient pas nés alors — et depuis, combien de millions d’enfants ! — sachent qu’elle n’est pas d’abord une histoire de combats. Le premier écho des Glières ne fut pas celui des explosions. Si tant des nôtres l’entendirent sur les ondes brouillées, c’est qu’ils y retrouvèrent l’un des plus vieux langages des hommes, celui de la volonté, du sacrifice du sang.
Peu importe ce que fut dans la Grèce antique, militairement, le combat des Thermopyles. Mais dans ses trois cents sacrifiés, la Grèce avait retrouvé son âme, et, pendant des siècles, la phrase la plus célèbre fut l’inscription des montagnes retournées à la solitude, et qui ressemblent à celles-ci : « Passant, va dire à la cité de Sparte que ceux qui sont tombés ici sont morts selon la loi. »
Passant, va dire à la France que ceux qui sont tombés ici sont morts selon son cœur. Comme tous nos volontaires depuis Bir-Hakeim jusqu’à Colmar, comme tous les combattants de la France en armes et de la France en bâillons, nos camarades vous parlent par leur première défaite comme par leur dernière victoire, parce qu’ils ont été vos témoins.
On ne sait plus guère, aujourd’hui, que tout commença par un mystère de légende. Le plateau des Glières était peu connu ; presque inaccessible, et c’est pourquoi les maquis l’avaient choisi.
Mais alors que nous combattions par la guérilla, ce maquis, à tort ou à raison — peu importe : la France ne choisit pas entre ses morts ! — avait affronté directement la Milice, allait affronter directement l’armée hitlérienne. Presque chaque jour, les radios de Londres diffusaient : « Trois pays résistent en Europe : la Grèce, la Yougoslavie, la Haute-Savoie. » La Haute-Savoie, c’était les Glières.
(...)
Peu importent nos noms, que nul ne saura jamais. Ici, nous nous appelions la France. Et quand nous étions Espagnols, nous nous appelions l’Ebre, du nom de cette dernière bataille. Je suis la mercière fusillée pour avoir donné asile à l’un des nôtres. La fermière dont le fils n’est pas revenu.
Nous sommes les femmes, qui ont toujours porté la vie, même lorsqu’elles risquaient la leur. Nous sommes les vieilles qui vous indiquaient la bonne route aux croisées des chemins, et la mauvaise, à l’ennemi. Comme nous le faisons depuis des siècles. Nous sommes celles qui vous apportaient un peu à manger ; nous n’en avions pas beaucoup. Comme depuis des siècles.
Nous ne pouvions pas faire grand-chose ; mais nous en avons fait assez pour être les Vieilles des camps d’extermination, celles dont on rasait les cheveux blancs. Jeanne d’Arc ou pas, Vierge Marie ou pas, moi, la statue dans l’ombre au fond du monument, je suis la plus vieille des femmes qui ne sont pas revenues de Ravensbrück. Morel, Anjot et tous mes morts du cimetière d’en bas, c’est à moi que viendront ceux qui ne connaîtront pas votre cimetière. Ils sauront mal ce qu’ils veulent dire lorsqu’ils chuchotent seulement qu’ils vous aiment bien.
Moi, je le sais, parce que la mort connaît le murmure des siècles. Il y a longtemps qu’elle voit ensevelir les tués et les vieilles. Il y a longtemps, Anjot, qu’elle entend les oiseaux sur l’agonie des combattants de la forêt ; ils chantaient sur les corps des soldats de l’an II. Il y a longtemps qu’elle voit les longues files noires comme celle qui a suivi ton corps, Morel, dans la grande indifférence de l’hiver. Depuis la fonte des glaces, vous autres dont les noms sont perdus, elle voit s’effacer les traces des pas dans la neige, celles qui ont fait tuer. Elle sait ce que disent aux morts ceux qui ne leur parlent qu’avec les prières de leur mère, et ceux qui ne disent rien. Elle sait qu’ils entendront le glas que toutes les églises des vallées ont sonné un jour pour vous, et qui sonne maintenant dans l’éternité."
Discours prononcé par André Malraux le 2 septembre 1973 à l’occasion de l’inauguration du Monument de la Résistance érigé par le sculpteur Émile Gilioli sur le Plateau des Glières.