dimanche, juillet 08, 2007

salut à toi...



A Nanterre (pas mes rêves !), des fois c’est un peu le bordel. Parce que c’est une ville où tu ne peux pas être indifférent. Tu peux être pour ou contre, chaud ou froid, mais surtout pas tiédasse comme à côté, à la Capitâââle. Ca résiste, ça gueule, ça vit, c’est le sang du Front Populaire et des morts jamais comptés du 17 octobre 1961, de ceux de Charonne, des Enragé-e-s et des gosses de tiékar qui suinte de tous les pores de la ville. L’algérienne banlieue rouge qui nargue ces putes de Neuilly et de Saint Germain en Laye qui sont juste à côté. La rage et la révolte qu’ont pas encore baissé le poing. Alors, t’as le droit d’être un bâtard de sarkozyste pour peu que tu l’assumes. Et là, on va s’engueuler mais ptêt qu’on boira quand même un canon ensemble.

Et en ce moment, à Nanterre (toujours pas mes rêves !), c’est sacrément le bordel. Bikoz’ le trublion du coin, l’inénarrable Roger Des Prés va planter la Khaïma dans tous les quartiers cet été. Et faut bien le dire, le Roger, c’est un gars bizarre. Un génie, un fou, l’archétype de celui que tu n’oseras jamais être en poussant au plus loin le secret de tes en-vies. Le gars, il a installé une ferme un peu au bout de la fac, loin là-bas, où y a pêle-mêle des chèvres, des concerts de clavecin, du miel, du ciné d’auteur en plein air, des carcasses de bagnoles, un putain de potager, des vieux maoïstes, des fleurs, des mises en scène de Genet (pas les fleurs, hein, l’auteur) et des chouilles certains soir à te faire pleurer tellement c’est hors du monde. Un « artiste », quoi, un mec tel que les artistes devraient être.

Et donc, le Roger, pendant tout l’été, il va planter sa méga tente orientale, la Khaïma, en pied de tours, au cœur des Zones Urbaines Sensibles, des quartiers populaires, de là où gravite une foultitude de jeunes à casquette et à capuche par dessus la casquette. Il ramène les chèvres, of course, un spectacle sur Khaled Kelkal, la tambouille pour chaque soir et il attend aussi ce que les habitants et les passants vont ramener, comme ça, dans l’absurdité du lieu et l’évidence du partage. Entre autres. Bikoz’ faudra venir vivre pour voir. Une semaine non-stop dans chaque quartier à pioncer sur place avant d’emmener la caravane, la tente et les chèvres ailleurs.

Forcément, il a besoin de thunes pour son affaire. Et la municipalité, elle flippe un peu. Non seulement à cause du côté doux-dingue du Roger, un peu plus pour le spectacle sur Khaled Kelkal au milieu d’une horde d’habitants islamisés incapables de comprendre que le théâtre peut transcender quoi que ce soit et que c’est un peu le but premier qu’ils faisaient les Grecs demande à ceux qu’ont vu Electre pour la première fois tiens si ça les faisait pas flipper et réagir dans leur quotidien existentiel, et surtout parce qu’elle a déjà une sacrée expérience du gugusse en réunion. Qu’il gueule, qu’il monte sur la table, qu’il insulte, qu’il lui arrive d’être à poil sous sa djellabah et qu’il laisse remonter sa djellabah, qu’elles disent, les rumeurs. Alors, filer des thunes pour un mois complet d’animation estivale, pffffiou… Avec Khaled Kelkal en plus.

On se voit à quelques réunions municipales de préparation. Il est fort, le Roger, on sent qu’il sait où il veut aller et la part d’imprévu qu’il faut pour avoir à y aller. Il s’emballe, vitupère, s’ennuie, vit, risque, loin des comptes d’apothicaire du service culturel qui marmonne du bout des lèvres : « Nous avons décidé d’accorder tout notre soutien à ce projet ». D’emblée, il les calme « Ouais, mais j’ai pas eu les sous ». Ca transpire sec à Nanterre, chaude ambiance, les rumeurs d’annulation se succèdent, et puis finalement, non.

Je ne sais plus trop ce que je peux raconter pendant ces réus, sinon qu’à celle de mercredi dernier, avant d’examiner le cas du Roger, un obscur cabinet de consulting était venu faire une enquête sur les Contrats Urbain de Cohésion Sociale : le truc où la mairie file des thunes aux assoces si elles répondent aux critères définis par l’Etat. Parmi lesquels la « lutte contre la délinquance ». Et là, comme à chaque fois, j’ai bondi. Passkeuh si y a bien un truc qui m’énerve, c’est la lutte contre la délinquance. J’ai dû sortir mon laïus habituel, en étant bien calme de fureur contenue, que les mots sont importants, surtout en ces temps troubles, que si on entendait lutte contre toute forme de délinquance, y compris financière dans les boîtes genre Société Générale dont le siège social est à Nanterre, lutte contre la délinquance policière qui fracasse tout le monde sans raison comme la semaine dernière sur le quartier, alors qu’ici « lutte contre la délinquance » était l’exact euphémisme pour « permis d’incarcérer les jeunes à casquette qui zonent devant les halls d’immeuble », ce à quoi tout le monde pensait sans avoir les couilles ni les ovaires de l’assumer… J’ai évidemment pas eu le temps de finir ma phrase.

Coup de fil le lendemain alors que je suis dans le métro pour aller, une énième fois, tenter de refaire le monde avec ces vilains z’anarcho-autonomes que le joli Figaro a remis au goût du jour. Numéro que je ne connais pas, une voix enjouée et tonitruante me balance un « Salut à toi, Ubifaciunt, éducateur spécialisé à Nanterre ». Je le gratifie, reconnaissant la voix, d’un « Salut à toi, Roger Des Prés, de la Ferme du Bonheur ». Je tique un peu en entendant ma voix prononcer mes mots, c’est pas grave. On commence par tchatcher quelques instants des contraintes techniques de la Khaïma, puis il me dit en substance « Tu sais, à chaque fois qu’on s’est vu, j’ai trouvé ça intelligent et émouvant ce que tu disais, ça fait du bien… » Waouh, je rougis sans doute un peu, v’là le compliment quoi… Je laisse passer le premier métro, puis le second, la converse commence à durer, je remonte à l’air libre. Tout y passe, Beckett, les chèvres, les vieux cocos, les gosses qui sont les mêmes à Nanterre et Göttingen, on se fâche pour la forme sur une interview que Genet aurait, ou non, accordée à Têtu, on ne lâche rien histoire de dire, on va se revoir bientôt, oui, c’est cool, prochaine réu pour préparer la Khaïma, on y sera.

Un peu touché, quand même, que le gars Roger himself, tout ça, je lui avais pas filé mon numéro, il a dû demander à je ne sais qui, et puis cette joie de la discussion, et puis, quand même, hein quand même, un truc qui me chiffonne. Pas grave. On verra demain.

Je me répète le début de notre converse. Et puis l’illumination… Non, pas possible quand même que… Je me jette sur internet, googlise et finit par trouver. Putain, c’est lui… Les Bérus… « Salut à toi, Roger Des Prés, Salut à toi l’endimanché » à la fin dans le dernier couplet avec les sirènes de malade qui se ramènent, et Rantanplan, tout à la fin. Je lis, « LES ENDIMANCHES – Roger Des Prés et Jean Des Champs. Dans le milieu néo-punk branché de l'époque, ils détonnent aux côtés des futures Négresses vertes et autres Ludwig von 88, avec leur look de paysans vosgiens et leur apparence naïve de fils spirituels de Bourvil. On les retrouve à taper sur des tubes métalliques devant le Musée d'Art Moderne, puis avec leur accordéon au cinéma Le Zèbre de Belleville, accompagnés d'une titi parisienne Belle du Berry, future voix de Paris Combo. Ils amènent un air rétro mais authentique, un univers assez visuel proche de l'ambiance "Champêtre de joie" mais aussi d'Arletty et de Chaplin. Ils sortent un 45 tours, puis un album étonnant intitulé Le jardin potager chez Bondage Records. Première partie des Bérurier Noir en 1987 au Printemps de Bourges ».

L’homme fêlé auquel les Bérus et toute ma jeunesse rendent hommage sur Salut à toi, qu’a cherché mon numéro pour m’appeler et me dire que j’étais pas con. Putain de claque.

Salut à toi, ô mon frère
Salut à toi…


(OST : Bérurier Noir - Salut à toi)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

"putain de claque"
tu m'étonnes ...
anonymement Dju

ubifaciunt a dit…

salut à toi le Dju ;-)