Comme nous tous, il était condamné à mort, sauf que lui savait et le jour et l’heure. Il n’en tirait pas d’amertume ni de rancœur, c’est pas le genre de la maison. Seulement une promesse, héritage d’un ancien rite païen, un dernier salut et un ultime pied de nez à faire à ceux qui l’ont condamné.
A côté de lui, y’a Criton. On l’aime bien Criton, même s’il semble un peu con et bien ignorant en face du bon maître, Criton, c’est un peu nous tous, il voudrait bien savoir, il aimerait bien comprendre. Contrairement au Maître, il ne sait pas que ce qu’il sait, c’est qu’il ne le sait pas, et réciproquement. Alors, forcément, quand le Vieux va parler, on sait que ça va être son dernier mot, celui qui reste ad aeternam dans les biographies et les guides touristiques du tribunal d’Athènes. Criton, sûrement, il s’attend à un truc qui va tout expliquer, le-genre-de-phrase-à-résumer-le-monde-en-une-demi-seconde. Il pense que va jaillir la philosophie ultime, celle qui résumera la vie du Bon Socrate comme plus tard l’Autre sur sa croix ou le Boche demandant à ce qu’on ouvre les rideaux.
Un quart d’heure plus tôt, il avait viré sa femme et ses gosses parce qu’ils chialaient trop et qu’il faisaient sans doute trop de boucan. A vrai dire, les potes tirent la gueule et ont bien du mal à ne pas pleurer comme des madeleines. Lui est allongé, tranquille, comme si de rien n’était. Il discute. Y a le gars Criton donc, sûrement l’autre con de Gorgias, Platon-le-plumitif qui n’a rien de mieux à foutre que de prendre des notes et puis des autres dont les noms ne nous sont pas parvenus.
Ça y’est, il a bu la ciguë qui va pas tarder à faire son boulot. Tous le regardent. Ils attendent la sentence ultime. Vazy Soso, allez, parle-nous qu’ils doivent se dire. Pourquoi vit-on, pourquoi meurt-on, à quoi ça rime tout ça ? Le Vieux Sage se marre intérieurement, il sait que l’essentiel est ailleurs, bien loin de ces vagues préoccupations d’angoissés perpétuels. Il va parler. Platon a déjà sorti son dico pour comprendre les mots compliqués que va dire le Bon Maître. Gorgias rote un coup, le banquet d’hier soir était décidément bien arrosé. Socrate se tourne vers Criton, il lui fait son plus paternel sourire. "N’oublie pas que je dois un coq à Asklépios."
Hein ? Mais kess ki raconte ??? Trop tard, il a parlé. Platon remballe son dico et se gratte les couilles d’un air méditatif, Gorgias mate Platon et l’interroge du regard, Criton ne dit rien, il est déçu, il se dit que la ciguë attaque le cerveau autant que le système nerveux. Il tourne et retourne cette phrase cent fois dans sa tête. Les autres se demandent ce qu’il a bien pu vouloir dire par là. Le temps que chacun sorte de ses rêveries de basse-cour, le Vieux est mort de sa belle mort, fermant les yeux sur une cité qui ne l’a jamais compris. Ils s’en aperçoivent. C’est l’explosion de larmes. La femme et les gosses rentrent. Kess kiss passe ? Kess k’il a dit ? On leur raconte. C’est déjà l’heure des condoléances. La philo est morte, Platon en profite pour songer aux sujets qu’il proposera aux prochaines épreuves du bac, Gorgias va se bourrer la gueule pour oublier tout ça, Criton ne sait pas quoi faire et se décide à aller consulter une encyclopédie à la bibliothèque du coin, doit bien y avoir quelque part un article sur le fils d’Apollon, dieu de la médecine de son état et accessoirement dernier mot du Vieux. Pendant ce temps à Athènes, un gros poulet sait qu’il va bientôt y passer.
(OST : Genia tou Chaous - Bastardokratia)
dimanche, septembre 02, 2007
une bien vieille histoire...
chant sème antique :
asclépios,
coq,
gorgias,
mort,
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socrate,
ubifaciunt
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